“La vie devant ses yeux”, Kasischke, le temps d’un été

Titre : La vie devant ses yeux
Autrice : Laura Kasischke
Date de parution : 21 mars 2024
Genre : Roman

L’été. « L’odeur de pourriture et celle de la nouveauté, les brins d’herbe et les racines qui ressemblaient à des cheveux mouillés ». Une écriture biologique, ultra-poétisée. C’est du Laura Kasischke tout craché. Dire que la romancière américaine se démarque depuis déjà une vingtaine d’années notamment par le soin qu’elle apporte à l’environnement dans ses histoires, serait un euphémisme. C’est peut-être parce qu’elle vient du Midwest où la nature change si subitement de couleurs, se confie-t-elle, que c’est à partir des saisons qu’elle écrit. Et non l’inverse. Pour ce troisième roman, sorti en 2002 et réédité en format poche, la nature a parlé. Il s’agira de l’été.

Et comme à chaque fois, l’usage des saisons n’a pas pour seule motivation, celle de créer des ambiances. Elles symbolisent également ce qu’il y a de cyclique, notamment dans la féminité. Kasischke nous rappelle qu’une femme vieillit en donnant naissance à des femmes qui, à leur tour, vieilliront. En atteste le rocking-chair en osier blanc et le monospace, Diana possède la panoplie complète de la petite-bourgeoise du Midwest. Son vœu le plus cher a été exaucé le jour où, sous les yeux d’un mari aimant, certains diront passif, elle a donné naissance à la plus jolie des princesses.

La mère qu’elle est devenue, douce et prévoyante, est aux antipodes de l’adolescente rebelle qu’elle a été. Mais le souvenir de cette adolescente la hante. De plus en plus. Elle s’annonce en faisant tinter les breloques qui lacent ses bras, chargée de traumatismes. Et à chaque fois, elle ébranle un peu plus les fondations du monde de l’adulte, brillant comme la maison d’un blanc respectable. Des choses étranges commencent à se produire. Les devoirs que Diana réécrit pour sa fille se remplissent de gros mots. Son chat ressuscite. Laura Kasischke confronte la jeunesse qui piétine tout sans pudeur et l’âge adulte qui la regarde faire avec dédain. À moins que ce ne soit de la jalousie.

Le livre s’ouvre comme une déflagration, sur un évènement qui introduit la mort dans l’existence adolescente de Diana. Il se poursuit dans les inquiétudes, mais aussi la satisfaction, de cette femme qui s’observe en train de vieillir. Vieillir, semble symboliquement nous dire Kasischke, c’est un peu accepter la mort d’une forme plus libre de nous-même. Entre le début et la fin, il y a les années qui passent. Le chemin est long. On se glisse dans un état apathique que le climat estival du livre renforce. La vie devant ses yeux s’écoule parfois un peu trop doucement mais pas non plus sans remous.