Titre : La sorcière écarlate
Autrices : Laurie Lico Albanese
Editions : Hauteville
Date de parution : 3 juillet 2024
Genre : Roman historique
Laurie Lico Albanese est une romancière, novelliste et poétesse américaine renommée. Journaliste de formation, elle est surtout connue pour ses romans historiques et ses récits poignants multi-récompensés. La Sorcière écarlate est une œuvre sur la haine des femmes, le pouvoir de l’émancipation et les affres du cœur.
Les épouses du Diable
Isobel Gamble possède de l’or dans les doigts, c’est une brodeuse de talents qui a hérité de ses ancêtres la capacité de percevoir la couleur des lettres et des sons. Ce don exceptionnel, elle sait qu’elle ne doit jamais en parler à qui que ce soit car elle risquerait alors, comme ses aïeules, d’être accusée de sorcellerie.
Après avoir souscrit à un mariage peu heureux, elle est contrainte de fuir l’Ecosse avec son mari pour tenter de reconstruire une vie meilleure de l’autre côté de l’océan, en Nouvelle-Angleterre. C’est à Salem que la nouvelle vie pourra recommencer mais c’est aussi dans cet étrange village que Isobel se retrouve vite abandonnée par son époux. Ce dernier lui préfère l’aventure en bateau avec à la clef, il en est certain, le succès et la richesse. En attendant, c’est avec de modestes travaux de couture qu’elle peine à se nourrir.
D’un tempérament positif, elle se dit qu’à force de travail, elle finira par réaliser son rêve, devenir modiste et avoir sa propre clientèle. Son destin croise alors celui du jeune Nathaniel Hawthorne, aspirant écrivain, traînant derrière lui la sinistre réputation de ses ancêtres brûleurs de sorcières. La passion jaillit souvent des endroits les plus inattendus mais les histoires d’amour que la littérature retient ne finissent jamais bien. Nathaniel Hawthorne tient peut-être là le sujet de son futur roman. Une œuvre à la lettre écarlate, un A qui symboliserait tant l’amour que l’adultère.
Être libre
La sorcière écarlate est un récit glaçant sur la haine qui fut portée aux femmes durant tant de siècles. Bien sûr, il y a la violence évidente, sadique et cruelle des bûchers aux sorcières mais il y a aussi la violence quotidienne et systémique invisible. Le diable se cache dans les détails, dit l’adage. Il se cache dans les espoirs des femmes que l’on tue dans l’œuf, dans le rappel constant de la place qui est la leur, de leur infériorité et du monde qui n’est pas pour elle. Il est dans l’encouragement à la soumission, au mariage, au dogme, à la bonne réputation, à la vertu, à la discrétion et à l’obéissance. L’abomination c’est de savoir que tous ces mots mis au bout à bout furent un jour la norme, le seul chemin possible et la seule rédemption d’une femme. Des lois dictées par des hommes à qui le monde appartient, et qui en représentant de Dieu sur terre, avaient toute puissance sur la vie et la mort de tous les autres.
Laurie Lico Albanese aborde ces thèmes avec une délicatesse et une justesse remarquable frôlant la perfection. Son écriture poétique renforce l’impact des terribles vérités historiques énoncées. Que ce soit le récit presque bienveillant d’un père qui encourage sa fille à la soumission, les reconstitutions des procès de sorcellerie ou les témoignages d’esclaves noirs qui résident à Salem, tout nous tord le ventre, faisant jaillir un sentiment d’impuissance et de sidération face à de telles injustices.
La seconde subtilité de cet ouvrage est qu’il fait référence au roman de Nathaniel Hawthorne ; La Lettre écarlate. Un récit dans lequel une femme est accusée d’adultère et est mise au banc de la société. L’autrice part de l’hypothèse que l’auteur Nathaniel Hawthorne s’est inspiré de son histoire personnelle pour écrire son roman et décide de l’imaginer à son tour. C’est ainsi que naquit la non officielle histoire se cachant derrière ce classique de la littérature américaine. Une histoire d’amour qui aurait lieu à Salem, entre un écrivain hanté par le rôle de ses aïeuls dans les tristement célèbres procès et une jeune écossaise dont l’ancêtre a été condamnée pour sorcellerie.
Telle une funambule, Laurie Lico Albanese dénonce mais n’accuse pas, rédige par la preuve et par le cœur un passé d’une dureté atroce. La Sorcière écarlate est de ces œuvres qui poussent à l’admiration tant par la maîtrise du verbe que par l’intelligence de la narration. Une merveille d’équilibre entre la fiction et la réalité historique.