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    La sœur de Jésus-Christ, le tout en scène

    Au départ, la sorella di GesùCristo, c’est un seul en scène (on évitera ici le terme one man show qui, bien qu’il soit la traduction littérale, renvoie un peu trop au spectacle d’humour dans l’imaginaire collectif) : un homme, un pied de micro, point barre. Mais mettre en scène, c’est surtout repenser les choses. Dans cette version du texte d’Oscar de Summa, Georges Lini, rompt avec l’original, avec l’essence même du seul en scène, le narrateur n’est plus seul sur les planches. À ses côtés, une musicienne, tantôt chanteuse, tantôt violoncelliste, tantôt pianiste, tantôt accordéoniste. Elle ne fait pas partie de l’histoire et, pourtant, elle est omniprésente. 

    Avec cette bande sonore vient un rythme de parole, très élevé, mais qui se tait parfois, laissant la part belle à la musique. Ainsi, ce n’est presque plus du théâtre que l’on regarde, ça devient une sorte de slam, ou du moins quelque chose d’hybride qui intrigue. La musique nous emporte et le texte nous guide. J’y ai, personnellement, trouvé ma marotte de ces dix prochaines années : il faut plus de musique au théâtre afin d’utiliser le silence, comme il en est au cinéma, une esthétique en soi et non simplement l’absence de paroles. Parce qu’entre cette musique et ces flots de mots denses, les pauses, les silences troublent, posent un grave solennel qui dénotent, qui marque. 

    Dans cette même idée qu’est la remise en question du seul en scène : les personnages. Mais pour aller plus loin, encore faut-il contextualiser l’histoire. La sœur de Jésus-Christ, c’est cette jeune femme, Maria, qui s’est emparée du revolver Simth & Wesson 9 mm laissé dans la commode familiale depuis bien des années, et qui traverse le village ignorant tout sur son passage pour aller régler une affaire dont personne ne connait, au départ, la substance. Autour d’elle, se forme un attroupement, les footballeurs, les chasseurs, les vieilles, les jeunes, les badauds, les motards, tout le monde suit Maria. Et pour les incarner tous, un comédien. Un comédien, mais pas que. À chaque nouveau personnage, c’est un costume qui descend du ciel, habillant littéralement l’espace. Les personnages sont là et y restent tant et si bien que lors de la confrontation finale, c’est tout le village qui est matérialisé en arrière-plan. 

    Il y a un demi-mensonge dans ce que je viens d’écrire. Lorsque je parle de tous les personnages, je veux dire tous, sauf un. En effet, l’originalité du texte est de rendre sa protagoniste muette. Maria ne dit quasiment pas de la pièce, elle n’est d’ailleurs presque pas jouée par le comédien/narrateur, un peu au début, un peu à la fin, et même pas dix mots. Si Maria n’est que peu incarnée, c’est parce que son histoire est simple, si elle a cherché le revolver Smith & Wesson 9 mm c’est pour se venger et c’est la seule chose qu’elle fait de toute la pièce : trouver l’arme et marcher. Car, c’est autour de cette histoire de représailles, cette histoire d’une femme qui se venge des violences qui lui ont été faites, que vont se greffer l’essence de la pièce : les dynamiques systémiques. 

    Oui, on s’attendait à un mot plus sexy, mais la réalité est là. Les neuf dixièmes du spectacle sont composés de récits périphériques, du quotidien des autres personnes du village. Toutes ou presque, tourne pourtant autour d’un même thème : les relations hommes-femmes. Il n’est pas seulement question ici que d’histoire de couples ou d’histoires intimes, mais de toutes les interactions hommes-femmes : mari-femme et entre amants bien sûr, mais aussi père-fille, frère-sœur, professeur-élève, ami-amie. Ces histoires, qui sont des variations du thème, prennent tellement le pas sur la marche de Maria qu’on l’en l’oublierait presque, un peu comme un Vernon qui disparait au profit des personnages secondaires de la trilogie Subutex de Virginie Despentes. Car le but n’est pas de montrer que ce qui a créé la colère de Maria est de l’ordre de l’extraordinaire, mais de parler société, de faire prendre conscience de la globalité de la chose. D’où l’utilisation du terme dynamique systémique.

    Comme il en est le cas dans Vernon Subutex, chaque histoire, chaque personnage permet d’ajouter une couleur différente en plus que de proposer une variation supplémentaire. Ainsi, la pièce joue avec ce mélange d’émotions, tantôt graves, tantôt mélos, tantôt comiques. Par cet enchevêtrement de tons, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas amoindries, mais elles sont mises dans un cadre moins lourd, celui de la vie de tous les jours, celle qui passe par des moments graves, par des moments mélos, par des moments comiques. En étant mise en avant dans le cadre le plus commun qui soit, la lutte qu’il convient de leur faire n’en est que plus légitimée. Parce que tout le monde est Maria, tout le monde est son père, sa mère, son ex, son crush, sa pote, sa prof et personne ne veut qu’une chose pareille arrive à une proche. Afin de créer la possibilité de s’identifier à n’importe quel personnage, un choix fort a été fait : ne pas les jouer. Ou pour être plus précis, les jouer de manière neutre, tous de la même façon. Ainsi, on calque très peu d’imaginaire sur eux, les faisant apparaître moins à distance. En mettant l’accent sur ce qu’ils disent à défaut de le mettre sur qui ils sont, on les comprend mieux parce qu’ils sont tous soi ou quelqu’un que l’on connait. 

    La sœur de Jésus-Christ, c’est une accumulation de mélanges aussi belle dans la forme que brillante dans le fond. 

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