La part des lâches, que sommes-nous venus chercher ici ?

Scénario :  Marguerite Boutrolle
Dessin : Marguerite Boutrolle
Éditeur : Virages graphiques
Sortie : 15 mai 2024
Genre : Roman graphique

Vivre en collocation à la campagne, loin des bruits de Paris. Aby a besoin de faire le point, elle ne sait plus trop où elle en est dans sa relation avec son copain. À 25 ans, elle cherche un sens, une manière de mener sa vie. Au vert, elle se confronte alors à la communauté à laquelle elle vient se greffer, tout en faisant la rencontre d’une voisine qui lui partage ses savoirs sur les champignons.

Écrit comme cela, le résumé donne à voir l’histoire de néo-hippies qui fument des joints, font du yoga et du maraîchage dans l’espoir de recréer la vibe du début des années 1970, dans ce monde qui ne leur convient plus. Sauf que ce n’est pas l’histoire de La part des lâches. Ici, Aby partage cette maison avec d’autres jeunes qui font du télé-travail et de l’illustration. Les discussions (politiques) sont réduites à peau de chagrin. L’avantage de vivre ensemble, c’est aussi de pouvoir ne pas payer trop cher le loyer, tout en s’éloignant du stress de Paris.

Marguerite Boutrolle dépeint (plus qu’elle ne décrit) d’une très belle manière ces moments de vie où le groupe n’est pas tant un groupe qu’une réunion d’individus. Aby, dans sa recherche existentielle, suffoque bientôt entre ces murs où le mal-être n’est pas facilement exprimable, entourée de personnes qui ne l’entendent pas, ne la comprennent pas. Pour le reste du groupe, la communication devrait être évidente, « naturelle », sans prise de tête, alors qu’aucune règle ne semble avoir été élaborée pour que tout le monde se sente bien, capable d’exprimer ses ressentis sans violence. Doucement, sans mot dire, Aby fera chambre à part, cherchant dans l’isolement et les balades ce que le groupe n’arrive pas à lui donner.

L’autrice, maniant une palette graphique restreinte au gris bleuté impressionniste, marche à côté d’Aby à la quête d’elle-même. Ses illustrations retranscrivent une certaine vie à la campagne sans l’idéaliser et permettent de créer la bonne distance avec son sujet. Si « la nature » est belle et que le vert est essentiel, tout n’est pas rose et parfait loin de la capitale. De là un questionnement : qu’est-elle venue chercher, dans le fond ? Une vie de groupe, elle- même ou la campagne ?

Pour terminer, il faut souligner l’habilité de Marguerite Boutrolle à créer des personnages attachants, en particulier son « héroïne ». Ce n’est pas facile de rendre aimable ce genre de personnage, taiseuse, introvertie, perdue. Pourtant, outre Aby, l’autrice réalise ici un très subtil paysage de caractères humains, complexes, avec leurs raisons d’agir, ni bonnes ni mauvaises, dans un monde qui bouge vite et où faire des choix n’est pas toujours une affaire évidente pour tous et pour toutes.