De et avec Aline Mahaux, Sarah Brahy (Les 2 Frida), dessin et son de Wim Lots. Du 5 au 16 décembre 2017 au Théâtre de la Vie.
« Tout monte et descend » : cette révélation apparue soudainement à Aline Mahaux lors d’une excursion en montage constitue le point de départ du projet de La Montagne, construit avec sa partenaire de scène Sarah Brahy. Ce n’est pourtant pas à la montagne, mais au cœur du micro-paysage formé par son village du Hainaut, Deux-Acren, qu’Aline Mahaux est allée creuser pendant deux ans les fluctuations du monde, en recueillant la parole des habitants, tout particulièrement celle des membres du jardin collectif dont elle fait partie. Se fondant successivement dans la peau de Philippe, de Jean et des autres, elle ramène sur scène leurs mots, face à Sarah Brahy dans le rôle de l’intervieweuse. Sur un plateau simplement tapissé d’herbe et de terre, les rencontres au jardin, entre le travail et la pause clope, prennent vie : qu’il s’agisse du récit de la création triomphale d’un snack et du burnout qui l’a suivi, du retour sur les malheurs intimes d’un fils de la classe ouvrière, du regard jeté sur le temps révolu des herboristeries, les villageois rencontrés livrent une vision du monde actuel et des temps à venir. A partir des paroles échangées dans le jardin partagé où s’expérimente une relation renouvelée au vivant et à la consommation, les deux auteurs cherchent à saisir l’économie au ras du sol, dans la manière dont ces personnes vivent et racontent au quotidien le travail, la production, l’argent.
Le théâtre documentaire s’intéresse beaucoup, ces dernières années, aux mécanismes de l’économie libérale (Money !, par la compagnie Zoo Théâtre, mise en scène de Françoise Bloch) comme au monde agricole (Nourrir l’humanité c’est un métier, par la compagnie Art & tça). La Montagne aborde ces préoccupations sur un mode plus intimiste qu’ouvertement politique, l’apprentissage du jardin collectif participant en creux d’un parcours personnel singulier vers la redécouverte de sa juste place dans le monde.
Campées de manière impressionnante par Aline Mahaux, métamorphosée tout au long du spectacle au gré des personnages haut en couleur qu’elle incarne, les existences ordinaires défilant sur scène sont plutôt touchantes. Dans leurs accents, leurs regards, leurs rythmes heurtés, on perçoit l’écoute extrêmement sensible et la bienveillance dont les voisins de Deux-Acren ont été l’objet. Mais si le matériau est d’un point de vue sociologique et humain incontestablement riche, l’écart est grand entre l’ambition première (cette curieuse histoire de pente, qui aiguise notre curiosité) et la galerie de portraits qui nous est proposée, sorte de juxtaposition d’interprétations tombant peu à peu dans l’anecdotique. Alors que la férocité ou du moins l’ambiguïté pourrait surgir – les parcours et propos ne sont exempts ni de bassesse, ni de drames – , La Montagne s’installe dans un registre plutôt gentil et confortable assez monotone, qui laisse une légère impression d’assister à une excursion bobo, certes attentive et pleine de belle volonté, auprès des vrais gens. Quant au dessin en direct de Wim Lots, s’il nous donne encore plus envie de comprendre cette histoire de montagne, son manque d’articulation au spectacle ajoute encore à cette sensation de flottement, comme s’il manquait lui aussi quelque peu son sujet. C’est d’autant plus dommage que la démarche et l’écriture, comme en témoignent les beaux extraits lus (Proust notamment), révèlent la finesse et la sensibilité des 2 Frida.