La Miséricorde de la jungle
de Joël Karekezi
Drame, Guerre
Avec Marc Zinga, Stéphane Bak, Ibrahim Ahmed
Sorti le 8 mai 2019
1998, lors de la seconde guerre du Congo, dans la jungle « impénétrable » du Kivu à la frontière entre le Congo et le Rwanda, le Sergent Xavier et le soldat Faustin perdent leur bataillon. Ils se retrouvent alors complètement seuls et démunis, livrés à eux-mêmes, dans cet environnement hostile.
En suivant ces deux personnages principaux et leur parcours au plus près, le deuxième film du réalisateur rwandais Joël Karekezi crée une plongée vertigineuse dans la jungle. Certaines séquences sont réalisées en caméra à l’épaule et offrent une sensation de grand réalisme immersif, presque étouffant. Chaque pas, chaque choix peut entraîner de désastreuses conséquences ou, au contraire, être la décision nécessaire. Cette immersion alterne avec des plans plus larges permettant de magnifiques visuels. La jungle est alors présentée dans toute son ambivalence et sa complexité. Mortellement dangereuse tout en offrant une possibilité de « repli » par rapport aux périls extérieurs non moins redoutables, et renfermant à la fois de splendides lieux et paysages, elle devient peu à peu un personnage supplémentaire d’une importance fondamentale, et aux multiples facettes.
L’égarement dans ce territoire des deux protagonistes principaux ne figure pas uniquement une perte au sens géographique, mais permet aussi au réalisateur d’explorer la psychologie humaine. L’un et l’autre représentent presque des opposés : Xavier est un héros de guerre, tandis que le jeune Faustin est un « paysan » et un soldat encore inexpérimenté. C’est justement dans leurs différences, sources de conflit et d’incompréhension au départ, qu’ils parviendront à trouver leur force pour sortir de cette jungle… et s’en sortir. Car, le chemin qu’ils parcourent et cherchent pour s’enfuir (physiquement) de ce lieu inhospitalier devient alors (métaphoriquement) un cheminement vers la découverte, l’acceptation et l’affrontement de leurs propres démons.
Le choix de donner à voir deux personnages très différents, mais tout autant touchés, permet aussi de démontrer que la guerre affecte l’ensemble de la population. Peu importe le « rang » qu’ils occupaient, l’un et l’autre se retrouvent dans les mêmes conditions, avec pour seul but de survivre. Les rencontres avec des rebelles ou civils, congolais ou rwandais, appuient la démonstration de l’horreur et de la stupidité de la guerre, qui oppose des personnes qui poursuivent, en réalité, toutes la même chose. Dès lors, distinguer les alliés des ennemis n’est plus uniquement difficile, mais également absurde.
La Miséricorde de la jungle, bien que prenant place dans un temps et lieu de conflit, ne serait pas, dès lors, à qualifier « simplement » de film de guerre, car il va bien au-delà. Il parvient d’une part à réellement tirer parti de l’environnement dans lequel il prend place en réinsufflant une dimension de « sublime » à la nature (aussi dangereuse que belle) et en la personnifiant, et d’autre part à explorer l’évolution psychologique de ses personnages ainsi que leurs affrontements « intérieurs », le tout en mettant en avant l’absurdité de la (et plus généralement « des ») guerre(s).
Le film, lauréat du Fespaco (festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou), est donc éminemment humaniste et porteur de messages de remise en question, et de paix.