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    La mémoire des arbres, entre le réel et sa spectacularisation

    Conception, écriture et mise en scène de Fabrice Murgia, avec Josse De Pauw et des enfants. Du 12 au 22 septembre 2019 au Théâtre National.

    Pour le troisième volet du cycle Ghost Road, Fabrice Murgia et Dominique Pauwels nous amènent en Russie, plus précisément dans une ville fermée, une ville qui n’existe pas officiellement, et encore plus précisément dans la modeste habitation d’un homme. Lui, il existe pour de vrai, avec toutes ses maladies, ses rancunes et son envie de reconstruire une histoire qui lui a été niée. Après le désastreux accident nucléaire qui s’est produit en 1957 dans ce non-lieu, il a vu mourir tous ses proches et ses collègues, il a vu l’Etat tourner le dos aux citoyens qui ignoraient le projet plus ample auquel ils participaient. Dieu seul sait comment il a survécu, ou mieux, dieu et les arbres qui depuis toujours entourent la ville fermée en protégeant ses secrets. Tout ce qui se passait là-bas était caché et dissimulé. Par patriotisme extrême la population accordait son silence, convaincue de contribuer à la création d’un système révolutionnaire qui ne pouvait pas être dévoilé. Personne ne parlait de radioactivité, personne ne parlait de l’accident, personne n’était autorisé à poser de questions. Cette ville existe encore aujourd’hui, entourée par la même forêt et après différentes générations les habitants subissent encore les conséquences de l’explosion.

    Comment rassembler les souvenirs d’un événement qui n’a pas officiellement existé ? Comment une histoire qui « n’existe pas » peut laisser autant de traces amères, tragiques, mortelles ? Comment faire le tri parmi des bribes de mémoire mélangées aux sensations et aux différentes versions de l’histoire ? A la base du processus de création de La mémoire des arbres il y a un important travail documentaire et de recherche qui naît de l’envie d’informer le public de cette triste réalité et de redonner une voix à cette mémoire perdue. Un seul homme sur scène (Josse De Pauw), des enfants (dont malheureusement on ne connaît pas les noms) qui incarnent les fantômes du passé, et plusieurs témoignages vidéo pour affirmer la condition de toute une collectivité.

    Bien qu’inspiré par une histoire vraie, il ne s’agit pas d’un spectacle de théâtre documentaire, mais d’une fiction réalisée à partir d’informations réelles où, de temps en temps, le documentaire intervient. Le dispositif scénique qui prévoit une scénographie imposante et soignée au détail près, un jeu de lumières, d’ombres et de musiques mais aussi des projections vidéo, amène le spectateur dans un entre-deux en créant un univers qui raconte cette histoire entre la réalité et sa spectacularisation. Il est difficile, depuis la salle, de ne pas être touché par le sujet de la pièce et par les mots qui résonnent dans ce microcosme intime construit sur le plateau. Tellement difficile que quand l’écran montre des images un petit peu moins subtil on ressent que, peut-être, trop d’émotions manifestes nous font reculer et interrompent l’empathie. Si par moments on est absorbé par le mystère créé par les choix de mise en scène, dans d’autres moments la fiction est brisée assez brusquement par la réalité qui, littéralement, prend le dessus.

    Elisa De Angelis
    Elisa De Angelis
    Journaliste du Suricate Magazine

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