C’est avec le regard d’une jeune vierge qui découvre le loup, mais aussi avec les cernes de celle qui a enchaîné son cinquième weekend de festival, que j’ai passé pour la première fois les portes de l’Abbaye de Floreffe. Esperanzah! s’offre enfin à moi, comblant une de mes dernières lacunes en terme d’expérience festivalière.
Car oui, Esperanzah! est une expérience à part entière. Le site s’étale sur le flanc de l’Abbaye de Floreffe, dispersant ses différents espaces sur différents niveaux.
Esperanzah! Voilà un festival qui au fil du temps a su évoluer tout en gardant son identité. Et quelle identité! Engagé, convivial, métissé et …durable. Preuve en est les innombrables échoppes proposant de la nourriture issue de circuits courts ou du merchandising fabriqué à partir de produits recyclés.
Esperanzah! a su flairer l’air du temps, et les envies d’un certain public, las des grosses machines à fric qui constituent aujourd’hui l’essentiel du paysage festivalier en Belgique. Ce festival est né à un moment où le commerce équitable et le bio ont commencé à trouver naturellement leur place dans les supermarchés. On parle ici d’un événement « à échelle humaine », dans un cadre bucolique et qui ne joue pas la surenchère dans son affiche pour attirer du public.
Depuis, quelques années une troisième scène a vu le jour : la scène Découvertes. Une scène qui laisse une belle place aux groupes belges. C’est l’atout-charme de ce festival. La découverte. Se laisser séduire par un groupe que l’on ne connait pas, et (espérer) le voir exploser plus tard.
Quand on débarque à Esperanzah! vendredi en début de soirée, le festival s’est déjà gentiment mis en place. Le soleil qui aura brillé sur ces trois journées aura permis au trio short-débardeur-sandales d’être le standard vestimentaire de cette édition 2015.
En empruntant le chemin qui mène à la butte de l’Abbaye, on aura pu profiter des animations assurées par les nombreuses associations qui auront pris place un peu partout. Car, parallèlement à la programmation musicale, le festival proposait une activité cinématographique engagée. Ce sera l’occasion pour moi de découvrir Gardenia — Before the last curtain falls, témoignage de travestis et transsexuels âgés de plus de soixante ans.
Partout sur le site on sent la vie grouiller. Ici, c’est « le concours de la lettre la plus démotivante », là c’est « mon caca vaut de l’or », en référence aux multiples usages de la bouse de vache… Sans oublier les multiples spectacles d’art de rue, de pyrotechnie, les demandes en mariage décalées, etc.
Pas de doute, à Esperanzah!, c’est convivialité le maître mot. Au-delà de toutes les animations associatives, du village des enfants et du comptoir des saveurs, quand quelqu’un vient s’installer à vos côtés, il vous salue et souvent engage la conversation. Et quand un autre vous marche sur les pieds, il s’excuse.
Au total, 36000 festivaliers auront foulé les pavés de l’abbaye de Floreffe pour une édition riche en émotions et en plaisir. Très ému, le directeur du festival Jean-Yves Laffineur a qualifié cette édition de « magique » lors du point presse qui s’était tenu le dimanche, en fin d’après-midi. Le festival affichait complet depuis plusieurs jours et selon lui, le succès de cette édition a reposé sur la qualité de la programmation mais, surtout, sur l’ambiance et la cohérence qui existe entre les valeurs du festival et l’organisation de l’événement.
Côté musique, malgré la défection d’Ibeyi pour raison médicale, le festival pourra se targuer d’avoir proposé une affiche colorée et de grande qualité, avec des artistes généreux et une des plus belles ambiances de cet été.
Mention spéciale donc pour Atomic Spliff : le groupe liégeois a remplacé au pied levé l’un des noms les plus attendus de cette édition et ce n’était pas gagné d’avance. D’abord programmé sur la petite scène Découvertes, Atomic Spliff a secoué le Côté jardin avec ses good vibes ragga, mettant tranquillement tout le public d’Esperanzah! dans sa poche.
Top 5 des concerts d’Esperanzah 2015 :
1. Synapson : leur DJ set électro était à couper le souffle, empruntant à la fois aux rythmiques africaines, à la soul et au swing.
2. Starflam : les rappeurs liégeois n’ont rien perdu de leur verve, textes engagés et beats calibrés, du pur plaisir « à l’ancienne ».
3. Gramatik, DJ et producteur slovène expatrié à Brooklyn, ce monsieur aura mis tout le monde d’accord, grâce à sa musique éclectique et ses beats vigoureux alliant funk, jazz, soul, hip-hop, electro et dubstep. Explosion pour les oreilles et le corps.
4. Asaf Avidan : une voix éraillée comme marque de fabrique, une attitude humble et sexy sur scène, et un rock blues qui aura émoustillé les garçons et les filles. Une valeur sûre.
5. Chinese Man : ils auront clôturé le festival avec brio, les turnabilists français auront été largement à la hauteur de leur réputation, et auront professé leur grande messe devant un public en transe !
Photos de Bernard Rie