Titre : La guerre des mondes
Auteur.ice.s : Bruno Tertrais
Edition : Alpha
Date de parution : 31 janvier 2025
Genre du livre : Essai politique
Bruno Tertrais, en référence directe au titre du bouquin de H.G.Wells paru en 1898, s’aventure dans La guerre des mondes, qu’il sous-titre Le retour de la géopolitique et le choc des empires. Il est « un des meilleurs spécialistes français des questions de sécurité internationale » et raconte donc notre présent et notre avenir possible, s’intéressant en particulier aux USA, à la Russie et à la Chine.
Il est indiqué sur la couverture que nous avons entre les mains « l’édition mise à jour et augmentée », sortie en février 2025. Qu’on le veuille ou non, il y a comme une sensation d’ouvrir le journal de la veille en lisant l’ouvrage de Bruno Tertrais, ou d’essayer de regarder un vieux match de foot. Nous lisons les prédictions de quelqu’un qui ne savait pas encore concrètement ce que Trump et sa clique d’extrême droite allaient décidé de faire en deux mois de mandat. Si nous sommes au cœur de l’Histoire et qu’il est impossible de connaître la portée de ces bouleversements politiques récents, on aurait déjà envie de lire l’édition augmentée de « la guerre des mondes » dans trois, six ou neuf mois.
Bruno Tertrais, spécialiste indubitable qu’il est, semble néanmoins orienté (qui ne l’est pas ?). Occidentalo-orienté. Rappelons une des phrases d’accroche de la quatrième de couverture : « Et si l’Occident n’était pas si mal placé pour remporter cette nouvelle guerre des mondes ? » Cela se manifeste de deux manières. Il a une tendance à enterrer illico-presto la Russie et la déclarer grande perdante des années et du siècle à venir et une autre tendance à mettre les États-Unis sur un piédestal indétrônable qui n’a jamais failli et ne faillira pas.
Tertrais décrit à quoi ressemblerait la Russie post-Russie, détricotée par ses bandes organisées mafieuses, une fois Poutine parti ou en déroute. Cela donne de remarquables descriptions. On apprend l’existence de toute une série de régions (l’Ingouchie, la Touva, le Daguestan, etc.) qui pourraient devenir indépendantes ou sous le joug de la Turquie (ou de la Chine, ou l’Inde…). Cette partie qui s’intéresse aussi à l’Est et au Sud de la Russie est assez passionnante parce que méconnue. Tertrais analyse assez finement, il me semble, cette Russie complexe, cœur de multiples cultures et au centre de nombreuses influences, dont les centres névralgiques sont à l’Ouest (Moscou, Saint-Pétersbourg), se vidant de ses habitants à l’Est, alors que paradoxalement, suite au conflit provoqué en Ukraine, elle s’orientalise de plus en plus.
La guerre des mondes est un livre qui se lit très rapidement, l’écriture est facile et la lecture assez agréable. Il demande néanmoins une certaine connaissance en géopolitique, l’auteur balançant des noms, des alliances, des dates, des concepts sans jamais revenir dessus, c’est à nous de savoir de quoi il parle. Ce n’est pas un bouquin qui prend par la main, il faut qu’on prenne la balle au bond. Tertrais use (et abuse peut-être un peu) de phrases, formules et généralités d’historien.ne.s ou de spécialistes, qui me laissent, par moments, un peu dubitatif.
Quoiqu’il en soit, pour toutes personnes qui s’intéressent au virage vers l’extrême droite (et la guerre) que prend le monde actuellement, aux combats que les démocraties doivent continuer à mener, l’ouvrage vaut la peine d’être lu. Si j’ai beaucoup parlé de la Russie dans cette critique, la partie sur la Chine est intéressante également. On y apprend entre autres que l’Est de la Russie se tourne de plus en plus, culturellement, vers la Chine (mettant à mal le récit mythique de Poutine sur la grande Russie unie) mais aussi à quel point l’entrée en guerre de la Chine contre Taiwan, une question d’années, va rabattre toutes les cartes géopolitiques et pourrait déclencher des réactions mondiales massives et inattendues, chacun et chacune devant se positionner dans la bataille. La fin de l’Histoire n’est pas encore pour demain.