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    La fureur et l’extase, dans l’ivresse du sang

    Titre : La fureur et l’extase
    Auteur.ice : Laurent Larcher
    Edition : Bayard
    Collection : Bayard récits
    Date de parution : 05 février 2025
    Genre du livre : Récit de guerre

    En 2013, Laurent Larcher est envoyé sur le territoire accidenté, oublié, du Centrafrique. La guerre civile y fait rage, dans une sorte d’émulation sanguinaire. Pour résumer grossièrement, les Musulmans minoritaires dans le pays prennent les armes pour s’opposer à un pouvoir discriminant. Les Chrétiens et peuples animistes, soutenus en grande partie par la France, se blindent pour défendre leurs droits. Leur spiritualité les oppose, mais ils ont ceci en commun d’être tous animés par une soif de vengeance presque extatique. À défaut de compter sur des institutions stables, c’est la loi du talion qui domine. Partout. Et pour tous. Y compris pour cet anonyme qui introduit La fureur et l’extase comme si le livre lui était dédié.

    Une foule bourdonne autour de son corps qui gît sur l’Avenue des Martyrs à Bangui, la capitale centrafricaine. L’ambiance est électrique. L’homme est dénudé et émasculé, au sens littéral du terme. Son propre sexe lui a été enfoncé dans le gosier. La victime est musulmane, mais elle aurait pu être chrétienne. La meute assassine n’a pas besoin de justifier son acte. Elle le célèbre en rappelant que celui qu’elle a abattu n’est autre que le colonel Mandra, coupable impudique de meurtres et de viols. De l’autre côté, on assure que l’homme est un père de famille innocent qui n’a jamais rien commis de répréhensible. Si Laurent Larcher offre à cet évènement une place maîtresse, ce n’est pas pour la personnalité de sa dépouille. Ni pour l’extrême violence du geste, après tout Laurent Larcher en a vu d’autres. C’est pour l’étonnante banalité des bourreaux et la joie que leur procure l’acte. D’ailleurs, c’est ce mouvement ultraviolent des gens ordinaires qui causera la mort de Camille Lepage, la jeune photographe qui l’accompagne sur le terrain.

    Quelle personne devient-on quand on choisit un métier au cœur duquel se trouve le désespoir ? Journaliste de guerre, Laurent Larcher a fait ses premières armes en ex-Yougoslavie avant d’être missionné sur le continent africain. Dès son arrivée à Srebrenica, où près de 8.000 Musulmans ont été massacrés par l’armée et ses supplétifs, Larcher est contaminé par la violence. Une violence qu’il cueille et qui s’installe en lui de manière permanente. Mais outre cette violence indissociable de la guerre, la profession de l’auteur est aussi pleine de désillusions.

    D’abord, il y a son statut qui influe, d’une certaine manière, sur les conflits. Personne ne peut le nier, la présence médiatique en zone de guerre est bénéfique, ne serait-ce que parce qu’elle oblige la scène internationale à ouvrir les yeux. Mais en mettant certains conflits plus en valeur que d’autres, elle oriente aussi. En 2013, les Occidentaux ont les yeux rivés sur le Mali, se sentant beaucoup plus concernés par la montée du djihadisme que par des conflits interculturels. Le Centrafrique est abandonné. Et plus largement encore, la position de journaliste de guerre pose des questions éthiques. Où s’arrête le devoir d’information et où commence le droit à la dignité des victimes ? Peut-on tout montrer ? La présence du journaliste sur certaines scènes, comme celle du lynchage de Mandra, n’excite-elle pas encore plus les bourreaux qui veulent se donner en spectacle ? À quel point le journaliste doit-il venir en aide aux civils, alors que son rôle n’est pas celui d’un humanitaire ?

    Et puis il y a le désespoir des paroles. Des stéréotypes qu’on colle à ces pays en guerre comme s’ils étaient responsables de leur propre souffrance. Des mots qui suggèrent leur barbarie. Au cœur du livre, se trouve un autre évènement qui a inspiré son écriture. Larcher est au Rwanda où il couvre la commémoration du génocide. Il raconte à des collègues le lynchage de Mandra. La réponse qu’il récolte est légère, désengagée. Dangereuse en fait, parce que fataliste et raciste. « C’est l’Afrique ! ». Larcher ne peut pas concevoir que la bouche dont s’échappe ces mots est celle d’un expert de la région. S’il est capable d’aussi peu de considération alors qu’il a été témoin de leur souffrance, que pensent ceux qui ne l’ont pas été ?

    Mais au milieu de tout ce désespoir. Il y a l’espoir. Il y a ces personnes qui, malgré les atrocités, défendent l’amour. Des personnes que la guerre n’a pas déshumanisées. Des personnes qui, musulmanes ou chrétiennes, ne font pas de différence dans les vies qu’elle sauve. C’est dans l’adversité que l’espoir semble apparaître sous sa forme la plus pure. Et puis il y a la littérature et l’histoire qui, certes, soulignent notre fascination pour le mal. Mais qui, d’une certaine manière, l’exorcise aussi. L’auteur prend la plume pour se libérer de l’horreur qui le ronge. Mais aussi pour donner une place à ces anonymes qui meurent de la bêtise humaine. Pour renforcer le lien entre les mythes et épreuves du passé, Larcher truffe son récit de références. Du théâtre grec aux romans américains, de Foucault à Benjamin Littel, il cherche à cerner la brutalité qui consume l’âme humaine.

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