scénario & dessin : Lisa Mandel, d’après une étude de Mathieu Trachman
éditions : Casterman
sortie : 03 février 2016
genre : documentaire, humour
Avec cet album, Casterman inaugure sa nouvelle collection : Sociorama. Dirigée par Lisa Mandel, auteure de bandes dessinées, et Yasmine Bouagga, sociologue, son but avoué est de rendre accessibles au plus grand nombre des études sociologiques, en les transposant dans le médium de la bande dessinée, et en y incorporant de la fiction.
En d’autres termes, les auteurs utilisent les données et anecdotes recueillies par les sociologues pour les transposer dans une histoire fictive. Ce qui aboutit à la création, non d’une simple adaptation, mais au contraire, d’une œuvre originale où chaque élément important est tiré de la réalité. Pour veiller à la véracité des faits rapportés, de même qu’à leur pertinence, chaque ouvrage de la collection est supervisé par l’association « Socio en Cases ».
Premier album à paraître, en simultané avec Chantier interdit au public (de Claire Braud et Nicolas Jounin), voici donc La fabrique pornographique.
Howard, vigile dans un centre commercial, s’essaye au porno amateur. Ce n’est là que le début de ses aventures, Howard étant déterminé à gravir les échelons au sein du divertissement adulte, source de nombreux fantasmes. Mais la réalité derrière ce travail pas comme les autres n’est pas forcément celle que l’on pourrait s’imaginer de prime abord.
Racisme, difficultés de l’investissement à long terme dans l’industrie pornographique, frontières floues qui redéfinissent le rapport entre hétérosexualité et homosexualité sont autant de thèmes forts, abordés ici avec une apparente simplicité. Car le choix de transposer l’étude, ou du moins d’en apporter certains éléments au travers d’une fiction, apporte deux avantages majeurs. Tout d’abord, il est plus facile d’être attentif aux éléments soulevés à travers les différents protagonistes.
Deuxièmement, ces mêmes protagonistes offrent un visage aux découvertes sociologiques, ce qui permet de mieux en cerner les tenants et aboutissants, grâce à un facteur d’identification plus présent, dû au nombre réduit des personnages présentés.
À la manière du Jean-François Davy d’Exhibition, Lisa Mandel s’empare de son sujet sans tabous et mêle scènes intimistes et passages pornographiques. Il est à noter, à ce propos, que le style graphique de la dessinatrice diffère lors de ces moments, comme pour souligner la différence entre la personne avant et après l’acte, et celle que l’on voit à l’écran. Cette différenciation graphique rappelle également au lecteur le caractère véridique des faits rapportés, en le replaçant dans un contexte réaliste.
Cette manière de faire n’empêche pas le caractère sociologique de l’objet de se réimposer par moments, notamment par l’entremise de statistiques, sortant quelque peu le lecteur de l’histoire. Rien de bien grave cependant, le style de l’auteur apportant tout le dynamisme nécessaire pour s’y replonger, d’autant que l’album laisse une bonne place à l’humour.
En effet, La fabrique pornographique démythifie le monde du porno en le replaçant dans celui du travail, ce qui préserve son lot de scènes cocasses, à l’image de cette scène présentant deux acteurs obligés de se contorsionner ou de monter sur un diable dans le but d’obtenir le cadrage souhaité.
Drôle et parfois touchant, l’album laisse également de la place à quelques passages plus graves, sans pour autant réellement juger les différents protagonistes, laissant au lecteur la liberté de se faire sa propre opinion.
Le pari de mêler sociologie et bande dessinée est donc réussi. Si l’on ne peut se permettre de juger la collection Sociorama sur cette première publication seule, nous pouvons cependant reconnaître qu’elle s’annonce prometteuse, d’autant qu’elle prévoit de s’arrêter sur des sujets aussi variés que la fabrication d’informations pour le journal télévisé où la séduction de rue. À suivre, donc.