Textes et mise en scène d’Alexandre Drouet, avec Sandrine Desmet et Hugues Hausman. Du 22 janvier au 7 février 2020 au Riches Claires.
Ce matin, comme tous les matins, le réveil de Mademoiselle H sonne après une nuit trop courte. Elle s’habille en vitesse, court au travail et commence sa journée à l’aide de boissons énergisantes. Elle en a vraiment besoin, vu qu’aujourd’hui elle devra animer une séance d’information pour des chômeurs et organiser des rencontres avec eux, afin d’évaluer une éventuelle déportation dans un camp de travail en Ardenne où ils devront « assembler gratuitement des smartphones en prestant des journées de 72h ». Face à sa classe de demandeurs d’emploi (donc face au public de la pièce) elle explique que, dans la nouvelle République de Belgique, il n’y a plus de place pour les rêves et les rêveurs, que dans le nouveau système néolibéral ce n’est plus tolérable que des parasites choisissent de vivre en profitant des efforts des autres.
Sans modération, subtilité ou tact, le discours de Mademoiselle H est très direct : il faut que quelqu’un rate sa vie pour que quelqu’un d’autres la réussisse, on est trop nombreux au monde pour pouvoir tous être heureux. Par un intelligent choix de mise en scène, les personnes dans la salle sont en même temps spectateurs du spectacle et, dans la fiction, les participants à la séance d’informations animée par Mademoiselle H. Donc, positionnés à la frontière entre réalité et fiction, nous recevons ces mots de plein fouet. Combien de fois on s’est déjà senti prisonnier de l’administration, piégé par la procédure ou carrément forcé à choisir un chemin qui n’était pas celui auquel on rêvait ? Mais ici, pour la première fois, on entend de près un discours que l’on a souvent soupçonné ou craint. Dans cette nouvelle Belgique uchronique, la productivité et la rentabilité remplacent l’humain et la confrontation sans filtres avec ce type de discours est vraiment interpellant.
La mise en scène de Alexandre Drouet a aussi le mérite de nous amener dans un temps qui a des allures futuristes mais qui, par moments, rappelle des périodes historiques où la propagande s’appropriait la conscience des gens. Comme une alerte pour l’avenir et une invitation à ne pas oublier l’histoire, cette création touche magnifiquement à des thématiques très actuelles mais aussi totalement intemporelles comme la quête du bonheur et de l’épanouissement personnel, le compromis entre avoir du temps et avoir les moyens, le conflit entre les rêves et les obligations.
L’énergie des comédiens sur scène nous ravit. Sandrine Desmet et Hugues Hausman arrivent à nous toucher tout en jouant des scènes à l’esthétique fictive, au travers d’un jeu bien maitrisé et d’un rythme impeccable. L’un chômeur et l’autre représentante du régime, au final ils sont, tous les deux, victimes d’un système qui semble une machine à résultats.
De nos jours, on considère encore trop souvent que les artistes sont des privilégiés puisqu’ils peuvent suivre leurs rêves, puisqu’ils créent quelque chose que personne leur a demandé, puisque l’art n’est pas vraiment et toujours un bien de première nécessité. Ce spectacle est un exemple de comment l’art questionne le monde et de comment le théâtre a les instruments – est un instrument – pour mettre en lumière une situation dans son entièreté, pour en montrer des aspects controversés sans précaution, ou pour aborder certains sujets sans indulgence.
La difficile journée de Mademoiselle H nous rappelle que les artistes produisent aussi. Des alternatives.