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    La dame de la mer au Théâtre des Martyrs jusqu’au 26 février

    L’adaptation de La dame de la Mer par Michael Delaunoy est le premier volet de son triptyque nommé Suite nordique qui comptera deux autres adaptations de drames ibséniens.

    D’après Henrik Ibsen, mis en scène par Michael Delaunoy, interprété par Alexandre Crépet (Arnholm), Alain Eloy (Ballested, un étranger), Bernard Gahide (Lyngstrand), Julie Lenain (Ellida), Fabrice Rodriguez (Wangel), Pauline Serneels (Hilde), Maud Prêtre (Bolette). Du 11 au au 26 février 2022 au Théâtre des Martyrs.

    La dame de la mer s’inscrit dans le cycle des douze dernières pièces dramatiques du dramaturge norvégien Henrik Ibsen. Dans ces œuvres, les personnages sont tourmentés par la réalité abusive qui les entoure ou par un passé écrasant. La pièce est écrite en 1888 et met en scène une jeune femme, Ellida, qui épouse un médecin plus âgé qu’elle. Elle emménage dans un fjord du nord de la Norvège avec lui et ses deux filles adolescentes. Elle se perd dans sa mélancolie, et son mari tente d’en déceler la cause et de traiter ses maux, mais sans s’en apercevoir il l’enferme davantage en voulait lui définir une quelconque maladie.

    Ellida a grandi au bord de mer, loin des fjords écrasants. Elle est la fille du gardien de phare de sa ville natale. Durant sa jeunesse, elle a entretenu une étrange relation avec celui que l’on nomme l’effroyable, personnage très onirique symbolisant la fougue, la liberté, mais aussi l’angoisse que cette dernière peut susciter, à l’instar de l’immensité du Grand Bleu qui attire et effraie à la fois. Ils s’étaient autrefois promis l’éternité, en dehors des conventions du mariage et de la société, et il lui avait promis de revenir la chercher. Ellida s’en rend compte, son attirance et leur union semble irréaliste et irréalisable. Pourtant, elle ne cesse de la rêver, et à la fois de se laisser paralyser par cette idée. Elle est néanmoins prisonnière de la réalité écrasante, elle est désormais unie par le mariage à un autre homme, qu’elle a appris à aimer, mais qu’elle n’a pas vraiment choisi. Dans une société de la fin du 19eme siècle où le patriarcat décide du destin des femmes et déplace le joug paternel au joug marital, les femmes ne sont pas en droit de poser un choix profondément basé sur la volonté propre, une notion très présente dans le texte.

    Pour mettre en exergue l’absurdité du système patriarcal et sociétal, Henrik Ibsen, de façon très lucide, teint son écriture de second degré, de situations burlesques. Cet aspect a visiblement bien été exploité dans la mise en scène de Michael Delaunoy. En effet, on pourrait croire assister à un jeu « brechtien », souligné à outrance, où l’on rit et on parle fort, et où le public ne peut s’empêcher de sourire, alors que les personnages sont dans une souffrance sombre, et que l’ambiance est pesante et menaçante. Ce contraste nous plonge alors dans une inquiétante étrangeté. L’annonce des différents actes nous ramène également au théâtre en créant un effet de distanciation, ce qui participe à l’effet burlesque. Trouver l’équilibre entre le drame et l’ironie n’est pas chose facile dans le jeu et la mise en scène, et les actrices et acteurs s’en sortent très bien.

    Au niveau de la scénographie, nous remarquons une grande verticalité, une angulosité aussi. La demeure familiale nous apparaît très froide, presque écrasante, à l’instar de ce qu’elle symbolise pour Ellida peut-être ? Outre la bâtisse se trouvent différents panneaux modulables qui évoluent et se déplacent au gré du récit. Ils posent le cadre, mais donnent aussi un sentiment de mouvement, peut-être celui de la trajectoire d’Ellida qui évolue au gré des remous qui la traversent. Nous avons donc là un décor d’apparence simple et très littéral, mais qui est également emprunt de symbolique.

    Nous pouvons aussi noter que le choix d’adapter le texte au contexte des années 1960-1970 vise à ce que le public se sente plus concerné peut-être, et à mieux appréhender les thématiques. Cependant, nous oublions vite l’époque dans laquelle nous nous trouvons, et nous identifions rapidement aux personnages. Le texte d’Henrik Ibsen fait déjà preuve d’une grande universalité et d’intemporalité tant ses vérités sont criantes. L’adaptation à une autre époque n’est donc pas indispensable pour en saisir les enjeux. Cependant, le choix d’adapter le texte et le langage a peut-être davantage de sens, car toutes ses nuances, la complexité des personnages, et l’aspect très « direct » du langage choisi par Henrik Ibsen transparaissent parfaitement dans la mise en scène.

    Cette adaptation réussit donc à nous faire parvenir toute la richesse du texte originel, toute la complexité et l’ambigüité des personnages. Même si plus d’un siècle s’est écoulé, la question de non choix au féminin, de l’aliénation qui peut être subie par l’institution du mariage et par le poids de la société sont des notions profondément actuelles. Grâce au caractère burlesque ici exacerbé, nous saisissons parfaitement l’absurdité de la mise en scène sociétale, familiale et matrimoniale dans laquelle évoluent les personnages, et dans laquelle les femmes sont coincées.

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