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    La Corde du Diable de Sophie Bruneau

    la corde du diable affiche

    La Corde du Diable

    de Sophie Bruneau

    Documentaire

    Sorti le 25 mars 2015

    L’an dernier, à l’occasion des 25 ans de la chute du mur de Berlin, de nombreux journalistes et écrivains rappelaient l’existence, voire la construction, de murs à travers le monde. Cette année, le film de Sophie Bruneau apporte sa pierre à l’édifice en s’intéressant au « mur transparent », le fil barbelé, un élément clé de l’idéologie de contrôle : « c’est l’histoire du monde de la clôture et de la clôture du monde ».

    Après huit ans de documentation sur le thème de la surveillance et du contrôle, Sophie Bruneau a choisi comme fil d’Ariane le barbelé, un outil a priori anodin breveté et industrialisé à la fin du XIXème siècle aux États-Unis. En suivant cette « corde du diable », selon le nom donné par certains conservateurs de l’époque, Sophie Bruneau déroule sous nos yeux quatre siècles d’évolution : l’arrivée des premiers colons, la gestion agricole, l’émergence de la propriété privée, puis les élevages industriels, le verrouillage de l’espace et des frontières, jusqu’à l’emprisonnement livrant des hommes « en pâture » à leurs semblables.

    La réalisatrice nous emmène dans un grand travelling mimant le mouvement de la Conquête d’Est en Ouest. Peu à peu, la mystique de l’invasion civilisatrice, représentée dans le tableau American Progress (1872) de John Gast, est supplée par celle du rendement et de la gestion capitaliste. Car si les États-Unis sont loin d’avoir le monopole de la clôture et de ses dérives, son cas est représentatif : « ce pays qui semble avoir inventé l’espace a réussi à clôturer l’infini (…) ». Le fil barbelé est un sujet d’expertise au pays de l’Oncle Sam : nous nous retrouvons ainsi en compagnie de John Stolhman, un fermier collectionneur de fils barbelés, ou à écouter Hagemeier nous parler de la préparation du sixième tome de son encyclopédie sur les barbelés (500 modèles de base et 2000 variations… tous dessinés à la main par son épouse). Entre ces intermèdes surréalistes, le spectateur voit défiler devant lui les grands espaces comme un fantasme obsolète. La clôture couplée à la modernisation devient petit à petit le signe distinctif d’une atmosphère violente et concentrationnaire, que l’on fasse référence au parcage inhumain des bêtes – les élevages industriels – ou à celui des hommes.

    Homo homini lupus est (« l’homme est un loup pour l’homme ») ; ce dernier a développé des barbelés réservés uniquement à ses semblables, pour leur faire la guerre – lors de la 14-18, ne parlait-on pas des « séchoirs » où terminaient les premières lignes ? – ou les emprisonner. Dans une interview hallucinante, « René Cano, l’inventeur autodidacte amusé (…) semble complètement déconnecté de l’usage de son « razor wire » vicieux », un type de barbelé destiné à se ficher dans la peau des prisonniers pour les retenir ou pour solder toute tentative de fuite par une saignée létale. Le reportage prend également en compte la clôture institutionnalisée et virtuelle, mais non moins mortelle, qu’est la frontière, comme celle qui parcourt le désert de Sonora, au sud de l’Arizona, où se déroule « la plus belle des chasses selon le Comte Zaroff », la chasse à l’homme. Face à la sophistication de la traque, l’empathie de cet Indien Tohono ou plus tard celle de l’anthropologue de l’institut médico-légal de Tucson semble à la fois cruciale et dérisoire, tandis qu’ils réaffirment une incontournable vérité : l’humanité des migrants traqués comme des bêtes.

    Malheureusement, pour beau, original et engagé que soit le film de Sophie Bruneau, il ne risque pas de passionner les foules. « Sans un mot de commentaire, sans jamais recourir aux convenances de l’explication ni à la facilité de l’expertise, elle [Sophie Bruneau] construit son film en pariant sur la justesse métaphorique des images et des sons, et sur l’intelligence sensible du montage ». Ce pari dont parle Philippe Simon est risqué, car le spectateur, livré à de longs moments d’observation, peut aussi bien prendre une part active à la formulation du sens que, privé d’accroches narratives plus conventionnelles, rapidement décrocher.

    Edifiant quant à la domination du monde et de l’homme qu’il met en scène dans de superbes images, Devil’s Rope est un un essai cinématographique, « une poétique de la pensée politique » qui parlera essentiellement aux initiés du genre. Et pour ceux qui veulent aller plus loin, il existe le Devil’s Rope Museum au Texas. Nous attendons vos commentaires avec impatience.

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