auteur : Tony Burgess
édition : Actes Sud
sortie : février 2018
genre : Polar post-apocalyptique
Adepte des ambiances punks et sombres, le canadien Tony Burgess (The Pontypool Trilogy, Idaho Winter) revient avec un neuvième roman : La contre-nature des choses. Il y dépeint un monde en ruine, rongé par le Syndrome, où les morts refusent de tenir leur place 6 pieds sous terre. Innovant, trash, déroutant, Tony Burgess nous embarque dans un road trip halluciné aux frontières de la fin de l’humanité. Suivez le guide, It’s the last day on earth…
Les zombies sont là ! … Pas la peine de courir, ces derniers n’ont pas d’appétit pour les vivants. Ils gesticulent sans but précis et posent surtout, une fois la curiosité passée, un sérieux problème logistique. Impossible de les enterrer, leurs spasmes les ramènent à la surface, délicat de les enfourner en masse dans des fours crématoires géants, trop connoté… Alors, que faire des morts ? Une enquête approfondie de 0,44 secondes sur Google nous apprend que la mortalité dans le monde correspond « à 1,9 décès chaque seconde sur Terre, soit 158 857 décès par jour, soit près de 59 millions de décès chaque année » (Planetoscope). Gros boulot en perspective question ménage…
Au bord du gouffre, l’humanité a choisi d’envoyer ses remuants cadavres à la périphérie de son atmosphère, en orbite autour de la terre. Conséquences, la lumière à changée, le globe bleu a noircit, les vivants n’osent plus lever les yeux au ciel, mais la machine est lancée, trop de fric à se faire avec l’export spatial des non-décédés.
Siffler en massacrant
Écris à la première personne, La contre-nature des choses, nous place dans les bottes d’un narrateur sans identité. Déjà atteint par le Syndrome, sorte de pourrissement généralisé, ce dernier ne survit que pour accomplir son ultime mission : buter son vieux pote Dixon. Une sorte de pervers polymorphe dont les fantasmes tordus foutraient la nausée aux scénaristes de Saw. Compagnon de comptoir rêvé du marquis de Sade, Dixon est un Vendeur. Un VRP de l’apocalypse, allant de ville en ville pour offrir « la délivrance » aux vivants, produire des cadavres gigotants en masse et assouvir au passage ses macabres pulsions lubriques.
Sous les assauts du Syndrome, le narrateur vire complément hypocondriaque. Sa paranoïa déstructure le récit, déforme son langage et contamine le lecteur. Des effets encore accentués par la prise de médicaments psychotropes. Ces derniers, peuvent temporairement soulager certains symptômes, mais finissent par renforcer le Syndrome. Le lecteur est laissé seul pour interpréter la conscience en pleine décomposition du narrateur.
The World Wide Waste
Burgess imprègne ainsi un rythme et un style au texte qui fait pleinement corps avec l’univers du roman. Les phrase elles-mêmes semblent ne pas vouloir rester tranquilles. Elles débordent, s’entremêlent, parfois à dessein pour servir l’intrigue, parfois en ouvrant sur un vide abyssal. L’œil butte sans cesse sur des formules aux contours étranges, sans pouvoir décrocher de l’horreur brute et fantaisiste qui l’agrafe au récit.
Organique, la poésie de Burgess dérange les sens, sans pour autant donner dans le Torture Porn. L’horreur est formulée avec une frénésie, souvent sexuelle, proche du ridicule. Une sorte de passage à la limite où l’on ne perçoit plus les membres sectionnés, les corps calcinés ou putréfiés, mais bien l’immense gâchis qu’est devenue la société. C’est là où La contre-nature des choses frappe juste.
Prisonnière des millions de cadavres qui orbites autour d’elle, l’humanité ne peut plus échapper à sa propre pourriture. Ce n’est plus la lointaine Amazonie que l’on brûle, ou les profondeurs que l’on pollue de déchets nucléaires, le gâchis planétaire est incontournable. Eux-mêmes devenus déchets, hommes et femmes ne peuvent plus échapper à l’échec global qu’ils ont engendrés. Sous cet angle, le texte de Burgess prend des allures de charge politique nourrie par une rage viscérale de vivre dans un monde où l’horizon n’est plus qu’un vaste champ d’ordure.