Conception de Ludovic Barth et Mathylde Demarez avec Ludovic Barth, Mathylde Demarez, Thymios Fountas, Judith Ribardière – Crédit photo : Alice Piemme
Du 21 janvier au 6 février 2016 au Varia
Selon Mathilde Demarez et Ludovic Barth, fondateurs du groupe artistique Clinic Orgasm Society, explorent dans Si tu me survis… , leurs doutes face à l’avenir, sur un mode volontiers loufoque et décousu. Les Mathilde et Ludovic, artistes de 2015 travaillant sur un spectacle intitulé Si tu me survis…, échangent avec les Mathilde et Ludovic de 2045, les attentes des uns nourrissant les souvenirs des autres. Dans une cacophonie assumée, se catapultent pêle-mêle la vision d’un futur de l’humanité robotisé, la difficulté des deux théâtreux à imaginer une fin pour le spectacle en cours et de multiples allusions à leurs goûts, leur travail d’artiste, leurs rêves d’enfants…
L’ambition est forte et le désir, résolu : Ludovic Barth et Mathilde Demarez ont prévu, dans trente ans, de créer le deuxième volet du spectacle, où leurs fantasmes de 2015 se confronteront à ce qu’ils seront véritablement devenus en 2045. En attendant, le projet présent de Clinic Orgasm Society semble avoir été de se confronter aux incertitudes et à la peur de vieillir, en tordant la temporalité et en faisant primer la vie, sa légèreté folle et ludique. Hélas, il échoue dans une large mesure.
Il n’y a que des bribes dans Si tu me survis…, des « couches de réalité mêlées pour représenter ces angoisses de l’âge », selon Mathilde Demarez. Point de récit, point de cohérence narrative, point de début ni de fin — si ce n’est à travers sa longue imagination, un des fils conducteurs de la pièce. En soi, il n’y a pas de problème. Pas de problème non plus avec la mise en abîme, le spectacle en train de se faire, l’autoréférence – sauf quand elle étouffe tout le reste, et c’est le cas ici. Si tu me survis…tourne très vite à l’entre soi, et celui des deux comédiens réfléchissant sur eux-mêmes n’est pas le plus gênant. L’entre soi véritablement problématique, c’est celui d’un théâtre postmoderne tout entier dans la posture, qui n’en finit pas de nous dire qu’il ne peut plus rien nous dire, qu’il ne peut que tourner sur lui-même, fasciné par sa propre désillusion. Tout a été vu, tout est digéré, redigéré, remâché ; ne reste plus que l’ironie, l’éclectisme bordélique, le kitsch et le mauvais goût, sans oublier les — inévitables – références à Duchamp ou au « rapport ironique ».
Mathilde Demarez et Ludovic Barth ont voulu évoquer leurs peurs, mais les angoisses mêmes sont passées à la moulinette d’une dérision désabusée généralisée : « j’ai peur que tout change / J’ai peur que rien ne change », « j’ai peur d’une photo d’Auschwitz / j’ai peur d’avoir de la salade entre les dents », scandent-ils, lassés, d’une voix monocorde.
La seule peur, finalement, qui semble un peu consistante, c’est celle de ce théâtre enfermé dans un ressassement autocentré, qui renonce au risque, celui d’oser une parole, d’assumer une proposition. N’essayant même plus d’être parmi nous, il prend la fuite et se retire dans sa déconstruction déjà si vue, si datée, si peu stimulante, pour l’esprit pas plus que pour le cœur ou les tripes.
Car il ne suffit pas de se donner des airs de fête chaotique qui envoie tout balader, entre gravité joyeuse et lucidité inquiète, pour exprimer cette « pulsion de vie » chère à la Clinic Orgasm Society, ni pour créer du trouble, de l’excitation ou de la liberté. De ce défilé d’images stridantes, qui n’en finit pas de creuser là où il n’y a visiblement plus rien à creuser, domine une impression d’ennui et de dépeuplement, alors que le projet initial un peu fou recelait bien des promesses. Mathilde Demarez et Ludovic Barth disent espérer, dans trente ans, ne rien perdre de leur « capacité d’émerveillement ». Mais Si tu me survis… et la relation au théâtre qu’il manifeste semblent si blasés qu’il est permis d’en douter.