D’Albert Camus, mis en scène et interprété par Lorent Wanson avec la participation de Viviane Dupuis. Du 15 janvier au 9 février 2019 au Théâtre des Martyrs. Crédit photo : Alice Piemme
Au travers du roman, dans l’adaptation de Vincent Engel, Lorent Wanson, dont la carrière de metteur en scène a toujours cherché à donner la parole à ceux qui ne l’avaient jamais, s’interroge aujourd’hui lui aussi sur sa sincérité, tentant de traverser ces questions avec ses expériences au point de les rendre troublantes et volontairement floues.
Dans la petite salle du théâtre des martyrs nous voilà face à un décors simple : quelques chaises, un piano demi-queue en bois brun ciré, du sol au mur des cubes en trompe-l’œil à la Vasarely et, côté jardin, assise dans l’ombre, une femme ronde en robe blanche. Voilà le cadre de La Chute d’après Camus. Un monument de littérature, une fable sur l’égo. La charité comme nourriture pour égocentrique parisien. La même source qui rendait bouffi d’orgueil les existentialistes du Saint-Germain-des-Prés des années 50. Paradoxe d’un humanisme qui flatte celui qui le pratique et devient le lieu de toutes les vanités. La Chute c’est surtout la remise en question et la pénitence infligée par sa propre conscience au champion des vaniteux.
Monologue de soulard de semaine dans un bouge suintant du quartier rouge d’Amsterdam, cette adaptation du texte de Camus est assez réussie dans l’écriture. On y retrouve la force du roman qui l’a inspiré. Cet avocat nous interpelle comme le poivrot du comptoir nous prend à témoin. Mais ce qu’il a à dire nous amuse, attise notre curiosité. On se laisse happer par son récit et on se moque. Mais si on rit, on finit par rire jaune car quand il se juge, il nous juge aussi. Il devient le miroir de nos propres vanités. Il nous livre alors en se regardant une vision sale, méprisable du bourgeois auto satisfait. Être charitable, sauver les gens peut-être mais pourvu que tout le monde le sache : le comble de l’égo.
Le texte de Vincent Engel est brillamment accompagné de quelques notes de piano qui, ci et là, ponctuent un monologue fort, cynique et, souvent, sarcastique. Apparaissant souvent comme un gimmick de chapitrage, le procédé reste assez classique mais somme toute efficace. On y entend des thèmes dissonants, en accord avec les états d’âme du conteur. D’autres musiques, plus connues, anachroniques et populaires, rappellent la dimension universelle du texte.
Pourtant, la mise en scène manque parfois de sobriété et, paradoxalement, parfois d’emphase et de coffre. On eut préféré plus de simplicité et l’intégration maladroite de La Nuit je mens de Alain Bashung fini de nous en convaincre. Et, si Lorent Wanson incarne physiquement très bien ce « juge pénitent » qui s’enfonce sous le poids de sa culpabilité, il transparaît tout de même – et c’est tellement dommage – quelques approximations dans le texte que nous mettrons sur le compte du manque de rodage d’un tel monologue.
La chute est donc une adaptation de haut niveau dans le respect total de l’esprit d’un roman qui interroge le spectateur. Ce texte aurait mérité cependant un écrin plus réaliste et une mise en scène plus radicale et percutante.