De Anne Sylvain. Mise en scène de Michel Kacenelenbogen. Avec Janine Godinas et Anne Sylvain. Du 17 mars au 29 avril 2023 au Théâtre le Public.
Avec des coups de marteau en bruit de fond, Janine Godinas (la mère) et Anne Sylvain (sa fille) se partagent l’espace d’une petite cuisine simple le temps d’une discussion familiale plutôt dynamique. Ambitieuse, la fille n’a eu de cesse de gravir les échelons, fuyant un milieu ouvrier qu’elle a toujours méprisé. Même s’il n’est pas sur les devants de la scène, c’est le père qui suscite ce dialogue tourmenté. Plusieurs thèmes sont abordés simultanément: le lien mère-fille, l’absence du père, l’influence de la classe sociale et du milieu professionnel. Anne Sylvain a écrit le texte de la pièce, proposant un rôle sur mesure à Janine Godinas. Humour, tendresse et tirades sophistiquées sont au rendez-vous.
Le mari et sa boîte
Elle (la mère) n’en peut plus (comme le voisin d’ailleurs) ! Le bruit de la « fanfare de marteau » est insupportable. Pourquoi son mari s’obstine-t-il à vouloir fabriquer une boîte sans en révéler l’utilité ? « Un retraité, ça ne développe pas de projet personnel et encore moins de projet secret sur son temps mérité d’inactivité ». Le ton est donné.
Le prétexte de la visite
Pour le 1er mai, la fille apporte un brin de muguet à sa mère. Dans son sac, un second brin, pour son père. Sa mère constate qu’elle est préoccupée. Elle déclare être sous pression et envisage d’arrêter de travailler. Surprise de la mère: « Tu veux quand même pas élever des chèvres dans le Larzac ?! ».
Le noeud du problème
Cette femme active, qui a voulu « faire le néolibéral » alors qu’elle est issue d’un milieu prolétaire semble fragilisée. Bousculée par sa mère qui aurait souhaité qu’elle se marie et fasse des enfants, elle est à deux doigts de perdre pied: « J’ai raté ma vie en voulant la gagner ». Et puis, il y a le père. Pourquoi ne vient-il pas ? Pourquoi construit-il une boîte ? Pendant toute la discussion, les deux femmes se remémorent le passé, la rencontre des parents, le bouclier auquel la fille tenait tant, l’attitude du père, le mépris de classe, ses choix professionnels.
Notre avis
Un très bel échange entre deux femmes très différentes, certes, mais très attachées l’une à l’autre. Sous une pluie de tirades qui mériteraient d’être entendues une seconde fois, Anne Sylvain analyse la difficulté de changer de classe sociale, la pudeur des sentiments qui opère parfois à contre-sens et l’importance de la figure paternelle pour un enfant. Porté par deux actrices extraordinaires, basé sur un texte subtil et intéressant, ce spectacle est sans conteste une très belle réussite.