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    L’Estampe au temps de Bruegel

    À l’occasion du 450e anniversaire de la mort du peintre et graveur Pieter Bruegel l’Ancien, BOZAR propose deux grandes expositions pour découvrir, à travers le prisme du peintre, la Renaissance des Pays-Bas méridionaux et ses contemporains : Bernard van Orley et L’Estampe au temps de Bruegel. Cette dernière sera visible jusqu’au 23 juin 2019.

    L’Estampe au temps de Bruegel, réalisée en collaboration avec la Bibliothèque royale de Belgique, réunit de nombreuses estampes de Bruegel ainsi que de ses contemporains. On y découvre notamment l’étonnante frise Ces mœurs et fachons de faire de Turcz réalisée par Pieter Coecke van Aelst, dont Bruegel fut l’élève ; un exemplaire de la septième édition du célèbre Rhinocéros d’Albrecht Dürer, ou encore l’impressionnante Généalogie de Charles Quint de Robert Peril.

    Albrecht Dürer, Le Rhinocéros, gravure sur bois et bloc de couleur vert olive ajouté au XVIIe siècle, septième réédition de la gravure sur bois réalisée en 1515. KBR – Cabinet des estampes, S.I 13946
    Albrecht Dürer, Le Rhinocéros, gravure sur bois et bloc de couleur vert olive ajouté au XVIIe siècle, septième réédition de la gravure sur bois réalisée en 1515. KBR – Cabinet des estampes, S.I 13946

    On peut encore citer de nombreuses gravures produites par les successeurs de Bruegel et par ceux qui, profitant de sa renommée, le copièrent, tels que Joannes et Lucas van Doetecum et leur Saint Jérôme dans le désert (d’après Bruegel).

    Joannes et Lucas van Doetecum d’après Pieter I Bruegel, Saint Jérôme dans le désert, eau-forte avec gravure au burin, Hieronymus Cock, Anvers, vers 1555. KBR – Cabinet des estampes, S.I 5910
    Joannes et Lucas van Doetecum d’après Pieter I Bruegel, Saint Jérôme dans le désert, eau-forte avec gravure au burin, Hieronymus Cock, Anvers, vers 1555. KBR – Cabinet des estampes, S.I 5910

    Mais quand on parle de Pieter Bruegel, on pense tout de suite à ses peintures où les paysages dominent, souvent enneigés et encadrés d’arbres qu’on dirait tout droit sortis de l’univers de Tim Burton. Ses compositions minutieuses montrent la vie quotidienne de ses concitoyens et un bestiaire fantasmagorique.

    Au XVIe siècle, rares sont ceux qui ont les moyens d’admirer les peintures de Bruegel, et encore moins de se les offrir. Par contre, l’imprimerie, déjà bien implantée, est plus accessible. Mais son procédé de gravure est fastidieux et coûteux. Les illustrations doivent être réalisées par un artisan expérimenté qui grave le dessin à la pointe sèche, directement sur la planche à imprimer. Dans les années 1520, un nouveau procédé fait son apparition : l’eau forte. Le travail de gravure est simplifié parce que les plaques métalliques sont recouvertes d’un vernis et ensuite longées dans un bain d’acide. Celui-ci fixe le dessin par électrolyse, qui n’a ensuite plus qu’à être encré avant impression. Cette évolution technique, apportée dans les Flandres par Albrecht Dürer, attire de plus en plus d’artistes. Ceux-ci y voient la possibilité de diffuser leurs œuvres à plus grande échelle. Et de fait, à l’époque de Bruegel, ses contemporains le connaissent en premier lieu comme graveur et non comme peintre.

    Avec la facilité et la rapidité d’exécution acquises grâce à la gravure à l’eau forte, la vitesse d’impression s’accroît et le but premier de diffusion d’informations à un large public est vite détourné. Les estampes sont utilisées comme moyen de propagande par les Habsbourgeois qui y relatent des cérémonies importantes pour légitimer leur pouvoir ou, au contraire, pour calomnier de puissants personnages. Les estampes, réalisées par des peintres renommés, sortent du lot. De par leurs liens étroits avec la Cour, ceux-ci ont pu partir à l’étranger pour remplir certaines missions, et ils s’inspirent ensuite de leurs souvenirs de voyage pour réaliser des estampes à l’eau forte qui sont largement diffusées.

    La découverte de l’Amérique donne l’impulsion aux hommes de la Renaissance pour ouvrir leur esprit sur le monde qui les entoure et favorise un certain goût pour l’exotisme en même temps qu’un désir de compilation des connaissances. Cette ouverture sur le monde, combinée avec la diffusion rapide des informations grâce à l’imprimerie, va mener à la production de gravures dont les sujets se diversifient peu à peu. Les sujets sont relégués au second plan pour laisser la place à de grands paysages. Les structures architecturales et leurs ornementations sont reproduites et compilées pour former des traités d’architecture. On invite même des artistes italiens tels Giorgio Ghisi pour échanger les connaissances et diffuser des copies des œuvres de la Renaissance italienne. Les artistes flamands se familiarisent avec l’art antique, qui les fascinent, et s’en inspirent, comme dans cette gravure de L’Ecole d’Athènes réalisée par Ghisi d’après les fresques réalisées par Raphaël dans le palais du Vatican.

    Giorgio Ghisi d’après Raphaël, L’École d’Athènes (d’après la fresque au Vatican), gravure au burin sur deux plaques, Hieronymus Cock, Anvers, 1550. KBR – Cabinet des estampes, S.I 28081
    Giorgio Ghisi d’après Raphaël, L’École d’Athènes (d’après la fresque au Vatican), gravure au burin sur deux plaques, Hieronymus Cock, Anvers, 1550. KBR – Cabinet des estampes, S.I 28081

    En parcourant l’exposition, on est propulsé dans un passé lointain. Un passé où notre pays n’existait pas encore et faisait partie de ce que l’on appelait les Pays-Bas espagnols, gouvernés par la branche cadette de la famille des puissants Habsbourg. Un passé où Bruxelles voit le sacre de Charles Quint, qui devient empereur du Saint Empire germanique. Un passé où, à Anvers, les frères Van Eyck inventent la peinture à l’huile, un procédé qui révolutionne les techniques de représentations, et où plus tard, Rubens établira son atelier. On oublie souvent qu’au XVIe siècle, les Pays-Bas espagnols étaient un centre culturel très important, et l’une des régions les plus riches d’Europe.

    Ici, les estampes sont considérées comme des objets précieux, manipulées et conservées avec beaucoup de précaution. Durant la Renaissance pourtant, les estampes étaient très à la mode et leur production était intense. Pour proposer plus de choix que ses concurrents, il fallait renouveler sans cesse les illustrations imprimées. Les originaux qui n’étaient pas considéré comme précieux étaient souvent détruits, tandis que les plaques rapidement usées devenaient très vite inutilisables.

    On ne découvre donc qu’un tout petit échantillon de la production d’époque, qui nous laisse à peine entrevoir les occupations de la vie quotidienne et les aspirations ainsi que les réflexions de l’homme du XVIe siècle. Pour la première fois, le peuple a accès à l’art, un privilège jusque-là réservé à un nombre restreint de la population. Les estampes sont en même temps un vibrant témoignage de personnages qui ne laissent jamais de traces dans l’Histoire puisque, c’est connu, l’Histoire est écrite par les élites…

    Pour clore ce voyage à travers le siècle de Bruegel et en imprégner durablement le souvenir dans nos mémoires, Antoine Roegiers propose une installation vidéo intitulée Les Sept péchés capitaux. Celle-ci consiste en une projection sur écran géant d’une animation produite à partir d’illustrations recopiées à l’identique par l’artiste qui proviennent de l’univers de Pieter Bruegel. Recomposées, associées dans d’autres situations, cela donne un joli film où Rogiers projette sa propre vision des sept péchés capitaux.

    L’Estampe au temps de Bruegel est donc une exposition à ne pas manquer, tant pour l’influence des gravures dans l’évolution des reproductions artistiques que pour son impact historique. Il faut souligner enfin, que pour poursuivre les découvertes proposées dans le cadre de l’année Bruegel, la Bibliothèque royale de Belgique organisera plus tard cette année une exposition consacrée aux estampes du seul et unique Pieter Bruegel : The World of Bruegel in Black and White, du 15 octobre 2019 au 16 février 2020. Une belle initiative pour (re)découvrir un pan important de notre histoire.

    Infos pratiques

    • Où ? BOZAR, Palais des Beaux-Arts, Rue Ravenstein 23, 1000 Bruxelles.
    • Quand ? Du mardi au dimanche de 10h à 18h (21h le jeudi), du 27 février au 23 juin 2019.
    • Combien ? 14 EUR au tarif plein. 22 EUR pour un ticket combiné avec l’expo Bernard van Orley. Tarifs réduits disponibles.
    Daphné Troniseck
    Daphné Troniseck
    Journaliste du Suricate Magazine

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