Titre: Katya. La guerre. Partout. Toujours
Auteur.ice : Antoine Schiffers
Edition : Casterman
Date de parution : 12 mars 2025
Genre du livre : Roman graphique
Lauréat du prix Raymond Leblanc 2023, Antoine Schiffers publie son premier ouvrage chez Casterman. Après Maurane Mazars et Shih-Hung Wu, c’est au tour du jeune liégeois de rejoindre la fratrie des enfants de Raymond.
Le prix Raymond Leblanc, nommé en hommage au créateur des éditions du Lombard et co-créateur du journal de Tintin, révèle chaque année un jeune talent prometteur. Saint Graal pour tout aspirant auteur de bande dessinée, la généreuse récompense s’élève à 20.000 euros et un contrat d’édition chez Casterman, Le Lombard ou Futuropolis. En 2023, les quelques planches en noir et blanc du projet qui s’appelait à l’époque War ont séduit le jury d’experts. Des images qui laissaient déjà percevoir un sentiment de dévastation et l’étrange géométrie des personnages. Mais des images qui, deux ans plus tard, ont surtout bien évoluées, avec un trait qui s’est affiné et une direction artistique plus audacieuse.
War est devenu Katya. Et plus précisément Katya. La guerre. Partout. Toujours. Parce que si le personnage féminin a un nom, le lieu du carnage, lui n’en a pas. En fait, à moins de lire la quatrième de couverture, le lecteur ne peut pas savoir que les ruines sur lesquelles se construit le récit sont celles des villes tchétchènes. Mais si elle n’est pas nommée, la république revendiquée par la Russie est bel et bien montrée sous toutes les coutures. Au contraire de Katya qui, elle, n’apparaît jamais dans le récit. Katya n’existe qu’à travers son patronyme et les souvenirs que ses proches ont d’elle. En fait, comme la région, elle est anonymisée. Car dans ce personnage absent et dans ce lieu sans nom, ce sont les victimes de toutes les guerres qui se retrouvent.
Dans son appartement carrelé de la capitale allemande, Katerina est si bouleversée qu’elle en renverse son thé. Les raisons de son désordre émotionnel : l’image d’un tank à la télévision. De nouveau la guerre. Partout. Toujours. Le blindé qui s’est imprimé sur sa rétine l’a menée à prendre une décision. Il est temps pour Katerina de retourner dans sa Tchétchénie natale pour retrouver sa fille. Katya. Du pays dans lequel sa mère étendait son linge au soleil, il ne reste que des saloperies qui coupent. La guerre a mis son enfance en lambeaux. Des gravats qui s’amoncellent sur des terres de vide. Un vide qui a tellement d’importance dans le récit de Schiffers qu’il prend graphiquement vie. Les cases du jeune auteur sont aérées. Elles aussi désertées.
On ne doute pas que le caractère engagé et actuel de l’histoire ait pu séduire le jury. Mais c’est aussi par l’originalité de son dessin que Antoine Schiffers se démarque. D’abord, il y a, donc, la nudité de ses cases qui donne une impression de néant. Il y a aussi l’ultra-numérisation de certaines touches de couleurs qui donne à l’ensemble une esthétique glitch. Déstructurée. Il y a aussi la forme spectrale de ses personnages qui ont l’air de se mouvoir dans le paysage comme s’ils volaient. Qu’importe leur âge ou leur apparence, ils ont en commun cette légèreté, renforcée par le trait fin du lauréat. Katerina en forme de baudruche croise la route de Malik, avec ses airs de brindille. L’adolescent accepte, sans autre raison que l’altruisme, d’aider la mère à retrouver sa fille. À califourchon sur la moto du garçon, le duo parcourt les terres dévastées, chargés d’espoir. Pendant que sur leur union souffle la bienveillance et le chagrin.