De 3art3 company, codirection, concept et musique de Daniel Hellmann, codirection et mise en scène de Quan Bui Ngoc
Le 3 décembre à 20h30 aux Halles de Schaerbeek
A travers les interstices d’une grille de métal, sept hommes et une femme nous regardent, s’approchent, nous adressent des propos contradictoires, qui oscillent entre rejet et curiosité : ils cherchent le contact. La barrière qui sépare les danseurs et les musiciens du public tombera vite, mais elle donne à voir dès les premières secondes le fil qui liera l’ensemble de K. : la relation au groupe et aux autres, le désir d’appartenir et de s’échapper, la soif de liens et la rage de s’en défaire.
Créé en 2012, K. est le premier projet de 3art3 company, compagnie née à Zürich de la rencontre entre Daniel Hellmann, chanteur lyrique formé au théâtre contemporain, et Quan Bui Ngoc, danseur depuis une dizaine d’années chez Alain Platel et les Ballets C de la B.
L’influence d’Alain Platel est d’ailleurs bel et bien palpable : on retrouve dans la mise en scène de Quan Bui Ngoc un goût pour l’humanité dans tous ses états, une alliance de brutalité et de douceur, la peinture entremêlée du désespoir et de la consolation. Comme dans Out of context, la pièce créée par Alain Platel en 2010 dans laquelle il dansait, Quan Bui Ngoc joue truffe sa création de références à la culture populaire et distille un humour, une ironie et une légèreté qui laissent parfois la place, sèchement, à des explosions de violence frénétique ou d’hystérie.
Très physique, K. est une évocation à la fois puissante et touchante, à l’énergie directe, d’une humanité regardée droit dans les yeux : l’homme seul, l’homme perdu dans le groupe et porté par lui, l’homme qui aimerait crier et qui aspire à se sauver, l’homme qui pleure la tendresse sauvage de l’enfance, l’homme qui blesse. Cette vie qui passe par le corps, les metteurs en scène l’accompagnent par la très belle musique live et notamment par le chant de Daniel Hellmann, qui apporte une respiration mélancolique, ajoutant au charme parfois sombre du spectacle.
La richesse de K. naît-elle du principe d’impureté qui domine la pièce, de cette diversité des langages, de son énergie libre qui se débat dans tous les sens et lui donne un rare élan vital ? Ou bien de cette profonde sensibilité à l’humain, de cet attachement à notre misère, à nos failles, à nos corps disloqués, qui fait germer la beauté au cœur du chaos ? De toute évidence, forme et fond tiennent ensemble, tout comme les danseurs, que l’on sent vivre pleinement sous nos yeux tandis qu’ils forment un grand corps malade et vibrant, tour à tour désarticulé et recomposé. On retient en particulier la force expressive de Moonsuk Choi, aérien et habité, et de Tobias M. Draeger, beaucoup plus ancré dans le sol. A eux deux, ils traduisent bien les deux pôles de K., la poussée vers la grâce et l’attrait de la terre.
Dans la nouvelle de l’écrivain italien Dino Buzzati, le K désigne un monstre qui poursuit le héros, un marin qui ne cesse de fuir pour échapper à ce qu’il pense être une malédiction. Ce n’est qu’au seul de la mort, épuisé, qu’il se rendra compte que le K. voulait en réalité lui assurer richesse, bonheur et longévité. Le K. de 3art3 company a quelques éléments de ce K là : la peur primitive de l’autre, l’errance malheureuse sur des sols instables et la promesse – manquée – du beau. A la fin du spectacle, les danseurs sont couchés, bouche ouverte et muets, tandis qu’une eau trouble les rattrape : les naufragés de la condition humaine de K. bougent encore, et nous bouleversent.