Deux jours, Une Nuit
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Drame
Avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione, Pili Groyne, Simon Caudry, Catherine Salée
Sorti le 21 mai 2014
Au Valhalla des doublement palmés, les places sont chères. Coppola, August, Imamura, Kusturica, Hanneke et les frères Dardenne sont en effet les seuls à avoir touché le Saint Graal du cinéma deux fois dans leur carrière. Et quand les brothers remettent le couvert on ne peut s’empêcher de rêver à un nouveau record du monde. Alors, jamais deux sans trois ?
Dire que Sandra est dans la mouise, c’est peu dire. Alors que les employés de l’entreprise qui l’emploie ont préféré garder leur prime plutôt que de lui permettre de conserver son travail, elle convainc son boss d’organiser un nouveau vote le lundi suivant. Il lui reste donc deux jours pour les persuader de changer d’avis et récupérer son job.
On a souvent reproché aux Dardenne – de manière un peu simpliste – de se répéter. Et là pour le coup, ils proposent un nouveau type de personnage. Contrairement à Rosetta, Lorna ou Cyril, Sandra a déjà baissé les bras. Elle sort de ce qu’on suppose être une dépression et se remet sur pied. Alors que Rosetta se battait poings serrés contre le monde, Sandra est brisée, n’a plus confiance en elle et se refuse à elle-même le droit de travailler. Elle s’excuse de parler, d’exister, de protester et nie son statut même d’être humain. Ce combat pour garder son travail, continuer à vivre, est avant tout une bataille pour exister. Sandra doit vivre, pas seulement laisser vivre. Et ce genre de quête est inédite chez les frères.
Le poids du film repose donc en grande partie sur les épaules de Marion Cotillard. Et là, on était en raison de douter. Les Dardenne sont plus connus comme des dénicheurs que comme des récupérateurs d’acteurs (si ce n’est les leurs). Le fait de travailler avec des nouvelles têtes a toujours permis à leur cinéma de garder un côté brut et spontané, ce qui fait leur force. Et après la réussite mitigée du Gamin au vélo où ils se sont pour la première fois payé les services d’une actrice confirmée pour leur rôle principal, il était légitime de se demander si Cotillard était le meilleur choix. Et curieusement, la frenchie d’Hollywood s’en tire bien. Courbée et la voix faible, chevrotante, elle devient presque transparente. Même si elle pêche parfois par excès dans son interprétation, elle n’en reste pas moins touchante et méconnaissable.
Face à elle, Fabrizio Rongione lui insuffle la force dont elle manque. Il a la lourde charge de relever une femme à terre et joue son rôle à merveille. Révélé par les Dardenne, Rongione a toujours gardé un jeu juste et humble. Deux jours, une nuit ne déroge pas à la règle pour le comédien belge qui est parfait face à la super-star. Le reste du casting est également primordial car chaque collègue renvoie au personnage de Sandra la propre valeur qu’elle devrait se donner. C’est de leur regard que va dépendre son parcours. Ils peuvent soit la détruire soit lui redonner ce statut d’humain qu’elle se refuse. Ils ont donc également une lourde responsabilité dans la réussite du film. Et là encore, les Dardenne ne s’y sont pas trompés : certains des face-à-face sont d’exceptionnels moments de cinéma, dans la même lignée que le tandem Dequenne/ Rongione dans Rosetta.
Malheureusement le scénario vient parfois gâcher les moments puissants du film et aurait gagné à être moins explicatif. Certaines précisions viennent alourdir les dialogues sans que ce soit nécessaire et on regrette l’incisivité à laquelle nous avaient habitué les deux frères de Seraing. Même si on assiste à des vrais moments d’émotion dans Deux jours, une nuit, il semble qu’ils auraient pu faire plus confiance en leurs personnages et éviter de clarifier certains points qui, honnêtement, n’étaient pas si indispensables à la compréhension du film.
Au niveau de leur réalisation aussi, les frères se font plus tendres. On retrouve une certaine vigueur qui manquait cruellement au Gamin au vélo, mais on n’est toujours pas revenu à la brutalité quasi-viscérale du Fils. En choisissant un personnage détruit, ils n’ont pas d’autre choix que de jouer dès le début sur l’émotion et l’affect alors que ces deux éléments étaient presque systématiquement reportés voire refusés dans leurs meilleurs films. Rosetta n’avait pas de place pour ressentir. Sandra a été terrassée par ce ressenti et se relève péniblement. L’exercice est donc inédit pour leur cinéma, ce qui crée un renouveau assez intéressant. Il est donc difficile de leur reprocher cette tendresse. On notera également que contrairement au Gamin au vélo où la bande originale était mal exploitée, ici elle est totalement maîtrisée, prouvant donc bien que leur cinéma a évolué.
Deux jours, une nuit n’est certainement pas le film le plus percutant des frères Dardenne. Mais il a le mérite de montrer que, même s’ils restent fidèles à leur éthique, ils exploitent de nouveaux types de personnages et un style plus doux, marquant ainsi une évolution au sein de leur œuvre. Alors, on aime ou on n’aime pas, c’est une affaire de goût mais on ne pourra pas dire de Deux jours, une nuit que ce n’est pas un très bon film.