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    Journal inquiet d’Istanbul, parcours d’artiste en zone de turbulences

    Scénario : Ersin Karabulut
    Dessin : Didier Pasamonik
    Éditeur : Dargaud
    Sortie : 19 août 2022
    Genre : Autobiographie

    Dans Journal Inquiet d’Instanbul, le dessinateur et caricaturiste stambouliote Ersin Karabulut signe un premier volume prometteur, entre gravité et humour. Il y retrace à la fois sa vie personnelle et l’histoire récente de la Turquie.

    Après avoir publié en français dans Fluide glacial une anthologie de récits dystopiques (Contes ordinaires d’une société résignée et Jusqu’ici tout allait bien), Ersin Karabulut se lance cette fois-ci dans un nouveau registre bien plus ancré dans le réel puisqu’il y dresse un portrait réaliste et sans concession de lui-même tout en dépeignant une Turquie tiraillée par de violents antagonismes politiques et sociétaux.

    Le rédacteur en chef du magazine satirique turc Uykusuz débute son premier tome par le récit de sa jeunesse dans les quartiers déshérités d’Istanbul. Aux côtés d’un père instituteur qui boucle ses fins de mois en peignant de petits tableaux, le garçon se passionne pour le dessin et rêve très vite d’en faire son métier. Mais le père a en tête d’autres projets plus raisonnables pour son fils car « ceux qui s’intéressent à l’art habitent dans d’autres quartiers » et la famille n’a pas les moyens de déménager. De plus, quelques fâcheuses mésaventures avec l’extrême-droite ont échaudé le père, il voit depuis lors d’un mauvais œil la combinaison de la politique et du dessin. Le cadet de la famille doit donc faire une croix sur ses héros de papier et tenter de briller à l’école pour embrasser une future carrière d’ingénieur. Mais les rêves ne sont pas faits pour être oubliés et Ersin est plutôt du genre déterminé.

    Glissement vers un état autoritaire

    En parallèle à son parcours d’artiste, ce grand fan de BD revient sur les soubresauts qui ont marqué son pays depuis le 20ème siècle (la politique d’Atatürk, les coups d’état militaires, le massacre de Sivas, la montée de l’islamisme représentée par l’ascension d’Erdoğan). Ces rappels nous permettent de mieux comprendre l’évolution politique de la Turquie qui joue sans relâche sur la fibre nationaliste et glisse peu à peu vers un état autoritaire.

    Ce roman graphique offre également une réflexion sur le métier de dessinateur à l’heure où la censure se fait de plus en plus criante en Turquie. A la fin de l’adolescence, Ersin parviendra à s’affranchir des carcans familiaux et partira à l’aventure du côté de Beyoğlu, quartier occidental près du Bosphore où sont installés de nombreux magazines de BD. Karabulut a plutôt l’autodépréciation facile lors de ses tribulations. Il n’oublie pas de signaler ses propres doutes, lâchetés et défaillances. Par exemple, quand Erdoğan poursuit en justice le magazine Penguen pour lequel il travaille, il est à deux doigts de tout lâcher par peur des représailles. Mais un plaidoyer sur la liberté d’expression d’un collègue clairvoyant le confortera dans l’idée de poursuivre sa route dans le monde de la BD.

    Graphiquement, les planches historiques ou celles qui rappellent des événements familiaux sombres sont en noir et blanc et sont tournées vers le réalisme. Celles qui sont consacrées à l’autobiographie sont colorées. Les portraits sont à la limite de la caricature, dans la même veine que L’Arabe du futur mêlant joyeusement autodérision, humour et critique.

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