À l’occasion de la sortie d’À fond, rencontre avec deux des principaux interprètes, Caroline Vigneaux et José Garcia.
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Qu’est-ce qui vous a fait vous embarquer tous les deux dans cette voiture ?
Caroline Vigneaux : J’ai reçu le scénario, et j’avais l’appréhension que peuvent avoir les gens, à savoir se dire qu’une heure et demie dans une voiture, ça fait long. Puis, en le lisant, je me suis rendue compte qu’il se passait quelque chose toutes les cinq minutes, et qu’on ne s’ennuyait à aucun moment. Ensuite, le réalisateur Nicolas Benamou a une modernité qu’il apporte à la comédie, et son envie de faire un film mêlant humour et action était très excitante. Cerise sur le gâteau, j’allais pouvoir rencontrer José Garcia et André Dussolier, deux des plus grands acteurs français. Pour mon premier film, c’était merveilleux !
José Garcia : Du coup ça lui a couté 10 000 euros ! (rires) Quand on a fait le côté dégressif, on s’est dit que c’était quand même un sacré cadeau et qu’elle allait donc devoir payer ! (rires)
Caroline Vigneaux : Donc, j’ai craqué mon PEL et je me suis lancée ! (rires)
Et vous, José ?
José Garcia : Moi, j’adore les sports extrêmes et ça faisait longtemps que j’attendais un projet comme celui-là. Nous sommes toujours au service d’une histoire, mais ce genre de film peut se faire de pleins de façons différentes. La première est la plus pépère, en numérique sur fond vert. Mais, pour ce genre de comédie, en tous cas avec ma manière de travailler, le confort est égal à la mort. La deuxième façon de procéder, qui est pour moi la pire, est d’embarquer caméra à l’épaule dans la voiture, à la place de l’un, puis de l’autre… ça manque totalement d’audace ! Techniquement parlant, Nicolas Benamou est une pointure. C’est là sa force, et c’est lui qui m’a convaincu de faire le film. Il nous a dit qu’on allait louer une autoroute, la remplir avec 200 voitures, conduites par 200 chauffeurs parmi lesquels 40 pilotes de précision. Nous avions également des régleurs de cascades, comme David Julienne, de la dynastie Julienne qui s’est occupée des James Bond. Or, il a l’habitude de tenir ses chorégraphies sur 5 à 6 kilomètres maximum, alors que là, notre autoroute en faisait 105 ! Au départ, personne ne savait comment on allait réellement pouvoir procéder. Nous avons essuyé les plâtres pendant 3 jours afin de tout mettre en place.
Pourquoi ce refus du confort ?
José Garcia : J’aime le risque. Je vous avouerai que cette frénésie que j’ai m’emmène souvent vers de grands fracas où je me rate allègrement, mais tant pis ! C’est comme quand vous êtes avec une vachette à Saint-Jean-de Luz : quand elle vous attrape, vous vous faites encorner sur 150 mètres, mais quand ça passe, c’est magnifique ! (rires) Je trouve que la comédie ne peut se vivre que comme ça. Nous sommes tous habitués à voir sur internet des choses d’une efficacité redoutable. N’importe quel môme armé d’un téléphone peut avoir des angles inimaginables avec une caméra de cinéma. Cela nous habitue à une transgression qui me plaît énormément. Cette nouveauté fait qu’en ce moment, dans le cinéma européen, nous en sommes presque encore à l’ère du pachyderme, surtout dans la comédie. Le cinéma d’auteur s’apparente beaucoup à la peinture. Il y a un travail sur le cadre, sur l’écoute, sur la lenteur, sur la distance à prendre pour qu’il se passe des choses dans le regard… Cela relève d’une composition presque graphique. En comédie, on retrouve ce graphisme, mais le plus important est la rythmique, ce qui la rapproche de la musique. Il faut trouver le bon tempo.
Comment avez-vous fait pour exister dans l’habitacle restreint de la voiture tout en laissant de la place aux autres acteurs ?
José Garcia : Quand on joue, nous ne sommes jamais dans l’endroit dans lequel nous sommes en train de jouer. Notre imaginaire est toujours en train d’avancer, que ce soit dans une scène tragique ou comique, encore plus quand tout va vite. Néanmoins, il faut savoir être à l’écoute de l’autre, pour ne pas le gêner. Cela demande une chorégraphie, une musicalité parfaite. Ici, il y avait une difficulté supplémentaire. Nous avons été obligés de descendre notre volume sonore par rapport au bruit ambiant qui nous entourait. Quand nous faisions des apartés, seuls Caroline et moi nous entendions. André Dussolier et les enfants ne le pouvaient pas. La complexité vient de là, car il faut essayer de jouer sans en faire des caisses. Pour nous faire entendre, nous aurions dû hurler du début à la fin, ce qui aurait été gênant pour le spectateur. (rires)
Caroline Vigneaux : Tout a été très chorégraphié. Il y avait de la place pour l’improvisation, mais uniquement lors de répétitions à l’arrêt. Une fois que tout était calé, il ne fallait plus rien changer, car tout devait fonctionner ensemble : la technique, les cascades, la comédie, le texte…
José Garcia : Surtout que les équipes techniques étaient obligées de nous suivre de près, au risque de ne plus pouvoir contrôler l’électronique à cause de la distance. À cela s’ajoutent les cascadeurs, qui parlent en 3 langues, souvent en anglais, et qu’il faut coordonner. Il fallait qu’ils tombent au bon moment. Si l’un d’eux rétrograde alors que nous n’avons pas fini notre texte ou que nous nous sommes trompés, ce qui arrive, il faut alors tout recommencer. Et là, il y a 200 voitures qui doivent repartir dans l’autre sens. Nous avons tous eu notre petit moment de solitude.
Caroline Vigneaux : Tu vois les gens passer, tu leur dis pardon. (rires)
José Garcia : Pour exemple, les deux motards du film, à savoir Vincent Desagnat et Ingrid Donnadieu, venaient de passer leur permis moto. On part avec eux sur la route, on ouvre les fenêtres de la voiture pour que Vincent puisse nous parler, il se rapproche à 110 kilomètres/heure et commence à lever son doigt en l’air pour mimer un geste d’attention. Sauf qu’il vient tout juste d’avoir son permis, donc en faisant ça, il a perdu l’équilibre et est venu vers la portière. Puis, il a du jouer le reste de la scène. Il faut savoir que le plus difficile, en moto, c’est de tenir la vitesse. Il y arrive, c’est formidable, il est fou de joie et il commence à me parler. Sauf que là, on entend Nicolas qui nous dit qu’il est caché et qu’on ne le voit pas dans le cadre, la caméra se trouvant de l’autre côté. Il a donc du décélérer pour qu’on puisse voir autre chose que son cul à l’écran. (rires) Quand on a enfin réussi la scène, on était à 10 mètres du sol.
Cette pression du réel fait que vous êtes plus performants ?
José Garcia : Oui !
Caroline Vigneaux : Ça amène de la sincérité. Dans le film, il y a notamment une scène avec un motard. Lors d’une prise, on a cru l’avoir réellement percuté. Du coup, la terreur que vous voyez sur nos visages est réelle. Mais même si c’est sincère et qu’on le vit, il faut réussir à le faire à travers son personnage, sans en sortir. Après, c’est mon premier film, donc José et André m’ont souvent répété que je ne devais pas m’habituer à cette manière de faire, car ça ne se passe pas toujours comme ça. Là, on ne pouvait pas faire 60 prises, donc il fallait être bon dès la première. D’ailleurs, Nicolas nous a dit qu’elles étaient souvent identiques, tellement nous les avions travaillées. Nous étions tous très concentrés. Il n’y a vraiment eu que très peu de fous-rires.
José Garcia : On en a eu, mais principalement après les prises, au retour. Je racontais une blague par jour à Caroline, pour détendre un peu l’atmosphère. Bon, ça a vite tourné au vinaigre, car au bout d’un moment, elles étaient de moins en moins bonnes. Quand j’ai vu qu’elle ne riait plus et que les électros et les machinos commençaient à pouffer, je me suis dit qu’il fallait arrêter ! (rires)
On n’a jamais vu ce type de film en France, peut-être plus aux États-Unis…
José Garcia : Même là-bas, du moins de ce que je connais, il n’y a pas vraiment d’équivalent. Les autoroutes y ont trois ou quatre voies, ce qui fait qu’on ne peut pas ressentir la même sensation de vitesse et de danger que sur deux. D’autant qu’ils ne roulent pas aussi vite que nous. On nous dit souvent que notre film est un Speed à la française, mais dans Speed, ils roulent à 65 miles, soit à peine 110 kilomètres/heure.
Comment avez-vous géré le passage entre les scènes de comédie et celles plus intenses ?
José Garcia : L’intensité était là du début à la fin. On a beau avoir toute l’expérience du monde, il a fallu redéfinir complètement ce que l’on devait jouer. Néanmoins, l’être humain est très bien foutu, et s’habitue à tout. Tous les jours, il y avait un nouveau challenge, mais au bout d’un moment, prendre le volant et rouler à 130 kilomètres/heure est devenu quelque chose d’assez banal. Au bout de trois jours, nous avions tous pris le pli de la contrainte. Toutefois, cette tension de tous les jours fait que vous êtes chargés d’adrénaline dès 5 heures du matin. André Dussolier courrait autour de la voiture, dans un sens et dans l’autre. On le voyait faire pendant que l’on discutait. Puis l’on entrait tous dans le véhicule, et l’ambiance y était électrique. Quand David Julienne et Christophe Marsaud venaient nous exposer les consignes de sécurité, cela ressemblait presque à un début de prière. Puis, une fois cela fini, c’était parti, comme au cirque ! L’adrénaline qui s’installe procure beaucoup de jubilation, ce qui fait qu’on a tous eu envie d’en découdre. Il faut quand même se contenir, et faire attention à l’euphorie, qui peut nous pousser à surjouer. On s’est quand même bien marrés, la vie paraît chiante maintenant !
Quel est le prochain défi de votre carrière ?
José Garcia : Le 21 décembre (date de sortie du film, NDLR). De nos jours, faire du cinéma est un défi permanent. 25 films sortent le même jour, les gens ont tellement de choses à faire, les moyens de tout le monde sont tellement descendus qu’il faut faire un choix. Se lever le mercredi matin, prendre ses affaires, traverser tout ce que l’on doit faire, puis entrer dans une salle pour venir nous voir, c’est un truc de fou ! C’est pour ça que nous sommes extrêmement admiratifs et gorgés d’amour pour les gens qui vont au cinéma. Avec tout ce qu’il y a à faire dans une journée, trouver le temps de se réunir dans une salle, c’est grand !