scénario & dessin : Vittorio Giardino
édition : Casterman
sortie : 10 janvier 2018
genre : aventure, historique
La bande dessinée Jonas Fink : Ennemi du peuple, publiée dans les années 90, raconte la vie en Tchécoslovaquie après la seconde guerre mondiale d’un jeune garçon prénommé Jonas. Vittorio Giardino nous narre son enfance brisée par le gouvernement Stalinien le jour où son père, un médecin juif, est décrété « ennemi du peuple ». Il sera emprisonné pour des activités antisocialiste et laissera son fils grandir et se construire seul dans une société où on lui rappellera sans cesse qu’il n’est pas à sa place. L’auteur nous peint le portrait d’un jeune garçon avide d’apprendre, plein de combativité. À une époque où les répressions grondent, où intellectuels et artistes sont censurés, il se retrouve à devoir s’affirmer par la force des choses.
24 ans après le premier tome, Vittorio Giardino écrit sa suite, Le libraire de Prague. On y retrouve dix années plus tard Jonas et ses amis du groupe Odradek, mouvement protestataire qu’ils avaient formé plus jeune pour faire survivre la culture, notamment la littérature censurée. Ils sont toujours aussi soudés et militent chacun à leurs manières. Leurs vies basculent à nouveau lorsque les chars russes envahissent la ville pour mettre fin aux réformes socialistes (« les Printemps de Prague »). Le héros retrouve son premier amour Tatiana qui est devenu journaliste à l’Izvestia, journal de propagande russe. La ferveur de l’engagement ressurgit, mais les années ont passé et les sacrifices semblent plus lourds. Le souvenir de l’histoire fait écho au présent, ravivant d’anciennes blessures. On lit au rythme des sentiments de Jonas : l’espoir laisse place à la déception, la résistance vacille.
Même après la guerre, l’histoire continue d’être niée, la réhabilitation des innocents se montre très compliquée, tout comme s’exprimer librement. Le récit n’est pas idéaliste et ne nous ménage pas quant à la destinée de notre héros et du monde qui nous entoure. Il faudra du temps pour panser les blessures.
L’auteur ponctue les deux albums de beaux portraits : un plombier anarchiste et alcoolique qui ne cessera de prêter main forte au héros ou encore un metteur en scène militant qui offrira sa vie à la résistance. Les personnages défilent, aucun n’est mis de côté. Ils jouent leurs propres rôles et apportent chacun leur pierre à l’histoire.
Le style graphique est léger et épuré, il sert la narration sans sur-jeux et nous livre une émotion directe. Il nous peint l’ambiance et les décors de Prague à trois époques différentes, nous y plongeant à vif.
On suivra notre héros jusqu’en 1990, après la chute du mur de Berlin. A travers la vie de Jonas, Vittorio Giardino réussit à nous faire ressentir son propre engouement, ses convictions et ses déceptions. En effet, alors qu’il écrivait le premier tome en déclarant plein d’espoir quant au futur qui s’annonçait : « C’est peut-être ce que j’ai tenté de faire : une histoire de l’autre côté de la frontière. Quand la frontière existait encore. », la tournure des évènements le fit décréter dans le second tome : « En relisant ces mots, je me rends compte à quel point je me trompais ».
En résumé, Jonas Fink émeut. On dévore son histoire tout en dévalant les ruelles de Prague. Vittorio Giardino nous rappelle à quel point la transmission est importante. Il est de notre devoir de raconter aux nouvelles générations ce qu’il s’est déroulé avant eux, que ce soit en contant des récits ou en peignant des souvenirs. La poésie est aussi nécessaire que les faits historiques : elle nous aide à comprendre et nous donne encore plus soif d’apprendre.