Crédits photo d’illustration ©Julie Caught / Maquillage : Charlotte Chenoz
De passage à Bruxelles pour promouvoir la troisième édition du Smile and Song Festival (du 17 au 20 février 2016), Jeremy Ferrari a répondu à nos questions lors d’un entretien agréable et détendu. L’occasion d’en savoir un peu plus sur l’évènement, mais aussi d’aborder son avenir et celui de son créateur.
Rencontre sans langue de bois, comme à l’accoutumée, avec l’un des humoristes les plus doués de sa génération.
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En 2016, le Smile and Song Festival en sera à sa troisième édition. Qu’est-ce qui vous motive à continuer l’aventure ?
Ce n’est pas compliqué d’être motivé car les artistes sont différents chaque année et le gala d’ouverture propose constamment de l’inédit. Cette année, Chantal Ladesou présentera le gala avec moi et les invités seront Arnaud Tsamère, Alban Ivanov, Olivier de Benoist, Elie Semoun et bien d’autres.
Ensuite, nous sommes très à l’écoute des gens. C’est pour cette raison que nous allons à nouveau faire un match d’impro, ce qui avait cartonné l’an dernier. Pour cette édition, Arnaud Tsamère emmènera une équipe d’impro constituée de champions du monde face à une équipe belge.
Enfin, après Youssoupha et Kendji Girac, nous avons souhaité mettre les artistes belges à l’honneur en invitant Jali et Typh Barrow.
Comment sélectionnez-vous les humoristes présents à la soirée de gala ?
J’essaie de prendre des gens solides, mais aussi de faire découvrir des artistes comme Nadia Roz ou Oldelaf. Même si ce dernier est loin d’être un débutant, beaucoup de gens ne le connaissent pas encore. Après, certains artistes demandent à revenir, je pense notamment à Arnaud Tsamère et ODB (ndlr : Olivier de Benoist).
Elie Semoun sera là aussi, car nous avions tous les deux très envie de faire un duo ensemble.
Vous parlez des duos inédits. Est-ce de l’improvisation ou est-ce entièrement écrit à l’avance ?
C’est écrit et travaillé en amont, je relis tout. Je pense que lorsqu’on est sur scène, il est important d’avoir un texte solide. L’impro a sa place, mais elle doit sublimer le texte, et pas l’inverse.
Maintenant, il y a un côté sans filet puisque ce sont des sketchs écrits pour l’occasion et qui n’ont dès lors jamais été joués.
À vous entendre, cette édition ne sera donc pas la dernière ?
Je ne veux pas arrêter ce festival, mon but étant qu’il meure avec moi. Mes motivations sont de grandir encore, d’aller plus loin et de grossir.
Cette année, on refait quatre soirées mais, à partir de l’année prochaine, nous changerons un peu la formule du festival pour pouvoir s’agrandir.
Maintenant, il y a un équilibre économique très fragile sur un festival. Du coup, on doit agir en fonction. D’autant que nous ne sommes pas beaucoup aidés.
De qui voulez-vous parler ?
Je ne peux pas comprendre que lorsqu’on s’installe dans une ville, on ne reçoit pas l’aide de celle-ci. On risque l’argent qu’on gagne pour faire un évènement culturel et on ne ressent pas un soutien énorme.
Nos objectifs sont de grossir, de monter des projets, de montrer des jeunes artistes dans des plus petites salles. Cela engendre des risques financiers importants. Si on ne nous aide pas un minimum, nous allons devoir faire autrement.
Pourquoi dès lors avoir choisi Louvain-La-Neuve et la Belgique au départ ?
Louvain-La-Neuve, parce que c’est une ville jeune et je trouvais ça chouette d’en faire profiter les étudiants. Et puis la Belgique, parce que c’est un pays que j’affectionne particulièrement. Mon grand-père travaillait au journal Le Soir, ma grand-mère était belge et, venant de Charleville-Mézières, j’ai passé beaucoup de temps en Belgique.
Ensuite, c’est plus simple de monter un festival ici. Il y a moins de papiers et d’administratifs. À part l’aspect financier, tout est plus facile en Belgique.
Le troisième soir, vous présenterez votre one man show intitulé Vends deux pièces à Beyrouth. Comment avez-vous construit ce nouveau spectacle ?
J’ai fait le même travail que sur Hallelujah Bordel, c’est-à-dire que j’ai pris une thématique. Cela permet d’avoir un propos original, de taper fort et d’être certain que personne n’en a parlé avant vous. Ici, c’est la guerre, et plus précisément la question de savoir pourquoi fait-on la guerre ?
Je trouve le sujet intéressant car, quand tu creuses un peu, tu t’aperçois à qui cela profite. Par exemple, on constate que lorsqu’un président déclare une guerre soi-disant pour instaurer la démocratie ou libérer un peuple, il remonte dans les sondages.
Autre exemple, le lendemain des attentats, je suis allé faire un tour sur la bourse. J’ai alors vu que les entreprises d’armements avaient grimpé, comme Thales par exemple (ndlr : société française spécialisée dans l’aéronautique, la communication et les systèmes de défense comme les drones, radars ou l’imagerie infrarouge).
C’est intéressant de se rendre compte que la guerre fait gagner beaucoup d’argent. Que, lorsque les Etats-Unis envahissent l’Irak, ce sont des entreprises américaines qui reconstruisent 90% du pays.
Ensuite, je me suis intéressé aux ONG…
Et qu’en ressort-il ?
Je ne vais pas trop en parler, car j’ai un dossier énorme que je vais balancer sur scène.
Mais prenons un exemple. Imaginons que je monte une association contre le cancer du rein, je souhaite donc que le cancer du rein disparaisse. Je n’ai pas une vision commerciale de mon association, cela n’a pas de sens. Normalement, je ne suis pas sensé gagner 10000 € net par mois, ce n’est pas normal.
Si tu t’engages dans l’humanitaire, que tu le fais avec les dons des gens, que tu envoies des lettres aux gens pour sauver un enfant, j’estime que tu ne dois pas gagner 10000 € net par mois. Je trouve que cela ne va pas.
Il y a pas mal de choses que j’ai découvert sur les ONG. J’en citerai une plus particulièrement, mais il y en a plein d’autres. Après avoir vu le spectacle, je ne suis pas certain que les gens continueront de donner.
Est-ce votre responsabilité d’humoriste de dénoncer cela ?
Si je fais rire avec, oui ! L’important, c’est de faire marrer. Ce sketch est l’un des plus drôles alors que pourtant, j’ai de vrais chiffres dans la main.
Mon métier, c’est de faire marrer les gens. Mon kif personnel, c’est de faire chier tous les connards. Si j’arrive à faire les deux, mon rôle est rempli.
Par contre, je suis perdant si je suis plus dénonciateur que drôle. Si à un moment donné, je me sers du public et de ma tribune pour dénoncer ou donner mon avis – en gros, si je dérape comme le font plein d’humoristes -, j’aurai tort.
Moi, je montre les vrais chiffres. Je dis : « voilà ce qu’ils font, vous trouvez ça chouette ou pas ? ». Après les gens font ce qu’ils veulent. Il n’y a pas de moralisation.
Maintenant, je n’aurais pas dénoncé ce truc si je n’étais pas certain d’être très drôle avec. Il faut qu’on reste dans la bonne humeur et qu’on garde le smile.
Dans vos spectacles, vous faites de l’humour noir. Est-il plus difficile de faire de l’humour noir aujourd’hui avec tout ce qu’il se passe dans l’actualité ?
Non, je ne trouve pas. Après, je trouve que les médias sont de plus en plus lisses, effrayés et frileux, alors que le public, c’est l’inverse. Je pense que c’est pour cette raison qu’il y a de moins en moins d’audience. Ils font l’inverse de ce que les gens veulent. Les gens veulent qu’on mette les choses sur la table et qu’on s’engueule si c’est nécessaire.
C’est finalement une idée de l’humoriste des années 70-80 comme Desproges ou autres…
Oui, ou comme Balavoine qui disait «Va te faire foutre avec ta guerre ! J’en veux pas » (ndlr : référence notamment à son coup de gueule face à la guerre menée par la France au Liban). Il faut cela dans une démocratie, on doit pouvoir tout dire.
Moi, pour l’instant, je ne suis pas embêté. Maintenant, il va falloir voir si les chaines françaises qui vont diffuser mon spectacle vont le montrer dans son intégralité. On verra.
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