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    Ivoire, un roman engagé qui réveille les consciences

    titre : Ivoire
    auteur : Niels Labuzan
    édition : JC Lattès
    sortie : 9 janvier 2019
    genre : roman

    Le Botswana, sanctuaire pour éléphants

    C’est au Botswana, ce pays à la végétation luxuriante enclavé dans l’Afrique australe, que se trouve la plus grosse concentration d’éléphants sauvages du monde. C’est un pays immense qui, s’il fait près de 600 000 km² de superficie, ne compte que 2 millions d’habitants. Le Botswana s’est donné pour mission de protéger sa nature et sa faune sauvage en devenant leur dernier sanctuaire. De fait, on y compte bien plus d’animaux sauvages que d’humains. Mais, comme partout ailleurs où il y a des éléphants, il y a du braconnage et pour limiter les pertes dues à ses chasses illégales, les animaux sont enfermés dans des réserves naturelles qui, si elles sont gigantesques, n’en restent pas moins des prisons, empêchant les animaux de poursuivre leur migration, ne permettant plus à des individus de la même espèce de se retrouver pour se reproduire et appauvrissant du même coup leur réservoir génétique.

    Mais les hautes clotûres qui définissent les limites des réserves sont malheureusement nécessaires. Un mal pour un bien, si l’on peut se permettre cette expression. Si le Botswana est considéré comme le pays le moins corrompu d’Afrique et que les efforts qu’il a mis en oeuvre pour protéger son patrimoine sont à saluer, les éléphants restent la proie des braconniers prêts à tout pour récolter de l’ivoire qu’ils vendront pour quelques dollars. La vie est dure pour les Botswanais, leur population est pauvre et réduite. Certains chassent la mégafaune pour se nourrir – il y a de quoi faire avec un éléphant de 6 tonnes -, d’autres les tuent en état de légitime défense, pour protéger leur famille ou leur bétail des super-prédateurs comme le lion.

    Au Botswana, on protège les animaux aux dépens des hommes dont les cultures sont régulièrement saccagées par le passage des éléphants en migration. Sachant qu’un éléphant adulte doit consommer en moyenne 200 kg de végétaux en une journée – c’est pour cela que l’éléphant se déplace beaucoup – et qu’un troupeau peut être constitué d’une centaine d’individus, on vous laisse faire le calcul et imaginer l’état que peuvent avoir des plantations après leur passage. Le bétail, quant à lui, n’est pas épargné non plus, c’est une nourriture qui est offerte sur un plateau aux lions et autres prédateurs qui, ne trouvant plus de quoi se nourrir dans leur habitat saccagé, sont attirés par cette nourriture facile d’accès. Et les réserves, elles ont été délimitées selon des frontières aléatoires au mépris des traditions locales et englobent parfois la terre des ancêtres de telle ou telle tribu à laquelle les membres n’ont plus accès et ne peuvent plus faire perdurer leurs traditions ni s’y recueillir. Paradoxal me direz-vous?

    Hommes versus faune sauvage : une cohabitation difficile

    Le fait est que la cohabitation entre les hommes et les animaux sauvages n’a jamais été facile. Lorsque l’Homme a commencé à se sédentariser en cultivant la terre et en élevant du bétail, il ne se considérait pas différent des autres animaux. Il avait conscience qu’ils faisaient tous partie du cycle de la vie, ils se respectaient mutuellement. S’ils ne vivaient pas toujours en harmonie, l’un chassant l’autre, une sorte d’équilibre s’était installé.

    Mais avec la seconde révolution industrielle et l’émergence du capitalisme, tout s’accéléra. L’Homme grisé par les progrès techniques, aveuglé par la marche du progrès devint cupide en plus d’être orgueilleux et égoïste. Toutes les avancées technologiques n’avaient pour but que de faciliter la vie de l’espèce humaine au détriment de toutes les autres. L’Homme se considérait maintenant comme l’espèce la plus avancée, celle qui croyait être arrivée à faire plier la nature selon sa volonté, à la mettre entièrement à son service sans penser une seconde aux conséquences. C’est ce manque d’humilité et de respect flagrant pour la nature qui finira par le mener à sa perte.

    Malgré les mesures drastiques mises en oeuvre pour contrer le braconnage, le Botswana ne fait pas exception. Même à l’intérieur de réserves naturelles hautement gardées et protégées, les braconniers continuent de tuer des animaux qui, sans en avoir jamais conscience, sont devenus les symboles de la folie destructrice des hommes au nom du profit.

    En 100 ans, nous avons détruit plus de la moitié de la biodiversité de notre planète. Et malgré ce constat dramatique, la tendance s’accélère. L’exemple le plus alarmant est celui des orang-outans d’Indonésie. Les forêts tropicales ancestrales qui formaient leur habitat sont réduites en cendres pour laisser la place à la monoculture de palmiers dont l’huile servira à produire du biocarburant ! En 20 ans, les hommes ont désintégré 80 % de l’habitat des orang-outans et si rien n’est fait, d’ici 10 ans, l’espèce s’éteindra purement et simplement.

    Ruée vers l’ivoire

    Si la destruction de leur milieu a déjà radicalement réduit le nombre d’animaux sauvages africains, les éléphants sont encore plus en danger que les autres parce que, pour leur plus grand malheur, ils possèdent une denrée rare et précieuse : l’ivoire. Les grands mâles ont tellemet été chassés pour leurs défenses – dont la taille est un caractère génétique – que cette particularité a fini par disparaître. Le braconnage intensif des éléphants mâles à grandes défenses a pris le rôle de la sélection naturelle : les défenses deviennent de plus en plus petites et, de ce fait, intéressent moins les braconniers. Mais si cette “sélection naturelle” – est-elle vraiment naturelle si elle est provoquée par l’Homme ? – permet aux éléphants de se prémunir contre le braconnage, ils sont également privés d’un de leurs atouts anatomiques qui leur permettait de se nourrir et de se protéger efficacement. C’est dire si le braconnage représente un danger plus important et rapide que la déforestation pour la survie de ces animaux.

    Mais les vrais responsables de ce désastre ne sont pas ceux qui chassent pour se nourrir ou tuent pour se protéger. Les fautifs sont souvent haut-placés, ont des accointances avec des ministres, des contrebandiers, des militaires, des dockers, des douaniers et même des éleveurs et des rangers, ceux-là même qui sont censés protéger les animaux dont ils ont la garde. Des hommes cupides, assoiffés de richesses et sans scrupules pour qui la vie d’un animal ne vaut rien. Et il faut dire que les stratagèmes mis en place pour capturer des éléphants sont en plus d’être cruels, franchement stupides. En témoignent ces braconniers qui ont empoisonné les sources où les éléphants s’abreuvaient et ont recouverts les rochers qu’ils léchaient avec une solution composée de cyanure… Sauf qu’ils ont en même temps empoisonné les autres animaux et aussi contaminé les sols !

    La sixième extinction de masse est déjà bien entamée et pour l’enrayer, il faudra bien plus que des grands mots. Il devient urgent de se bouger les fesses, de poser des actions concrètes et d’appliquer la tolérance zéro. Le problème, c’est que tant que l’ivoire ne sera pas déclaré illégal une bonne fois pour toute, tant que son utilisation ne sera pas sévèrement condamnée, tant que les lois laisseront des possibilités de les contourner – en Europe, le commerce de l’ivoire est interdit mais on peut encore s’en procurer si on l’utilise pour restaurer des objets fait du même matériau… -, les éléphants continueront à être décimés jusqu’à l’extinction.

    Niels Labuzan, de la réalité à la fiction

    Ivoire est un roman stupéfiant dont le but est de réveiller les consciences et d’analyser les liens qui unissent les hommes et le monde sauvage. A travers les destins croisés de Bojosi, Erin et Seretse, trois êtres que rien ne prédestinait à se rencontrer et qui pourtant, par la force des choses, finissent par s’unir pour livrer le même combat. C’est l’ensemble de la problématique liée au trafic d’ivoire qui est évoqué. Avec intelligence, Niels Labuzan a donné un rôle bien précis à ses protagonistes, ce qui permet de creuser les nombreuses ramifications du trafic sans négliger non plus de développer leur psyché en rapport direct avec leur position et ce qu’ils sont prêts à sacrifier pour atteindre leur idéal.

    Et de par ce fait, Ivoire c’est aussi une lueur d’espoir, un magnifique hommage rendu à ces hommes et à ces femmes qui, envers et contre tout, se battent au péril de leur vie pour faire entendre la voix d’êtres vivants qui n’en ont pas. Le manque d’humilité et le dédain presque ostentatoire avec lesquels l’espèce humaine traite les autres êtres vivants qui peuplent la planète ne joue pas en sa faveur. Voulons-nous que l’on se souvienne de nous comme faisant partie de la civilisation qui, malgré son intelligence, a bêtement détruit l’écosystème qui lui permettait de vivre en détruisant tout dans le seul but de s’enrichir ?

    Un roman superbe qui donne beaucoup à réfléchir et dont personne ne ressortira indemne.

    Daphné Troniseck
    Daphné Troniseck
    Journaliste du Suricate Magazine

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