Le festival It Takes A City (ITAC), fruit de la collaboration de quatre organisations néerlandophones et quatre organisations francophones, entend mettre en valeur la nouvelle génération d’artistes de la scène bruxelloise au-delà des frontières linguistiques, culturelles et régionales. Rencontre avec Matthieu Goeury, l’une des chevilles ouvrières du projet.
Bruxelles est un vivier culturel de premier plan. Artistes, compagnies, lieux d’expression ou de création s’y côtoient en nombre mais souvent sans vraiment faire attention les uns aux autres. L’un des problème de la culture dans la capitale réside en effet dans le fait que ladite culture relève des Communautés : la Communauté française (que certains appellent la Fédération Wallonie Bruxelles) pour ce qui concerne les francophones, la Communauté flamande pour ce qui regarde les néerlandophones.
Des initiatives ont vu le jour pour tenter de jeter des ponts entre ces Communautés. Ainsi, depuis trente ans, le Kunstenfestivaldesarts contribue, notamment, au rapprochement des artistes néerlandophones et francophones, deux plates-formes de concertation du secteur culturel bruxellois, le Réseau des Arts à Bruxelles (RAB) et le Brussels Kunstenoverleg (BKO), entendent créer des synergies pour développer une vision globale de la culture à Bruxelles tandis que le KVS et le Théâtre National ont mis en place différentes formes de collaboration.
Aujourd’hui, le festival it Takes A City (Itac) apporte également sa pierre à l’édifice en rassemblant quelques acteurs culturels bruxellois de premier plan. L’Atelier 210, La Balsamine, Beursschouwburg, Charleroi danse / La Raffinerie, Les Halles de Schaerbeek, Kaaitheater, Kunstenwerkplaats et workspacebrussels, unissent leurs efforts pour faire découvrir de nouveaux talents bruxellois de la danse, du théâtre et des performances.
Une évidence
Matthieu Goeury précise d’emblée que les Halles ne sont que, en partie, initiateur de ce nouveau festival. Tout est parti de discussions avec d’autres institutions bruxelloises telles que l’Atelier 210, le Beursschouwburg, le Kaaitheater, Charleroi danse, … qui ont débouché sur le constat qu’il existe peu d’initiatives bicommunautaires (aussi) ambitieuses. « Les changements de direction qui ont touché quasi tous ces lieux dans les deux ou trois dernières années ont amené une nouvelle génération à leur tête, explique le directeur des Halles. La mienne est habituée aux collaborations il nous a donc semblé évident qu’il ne sert à rien de se faire concurrence étant donnés les moyens limités dont dispose la culture. »
La volonté est de soutenir la création bruxelloise. Bruxelles est en effet un centre de création important et reconnu internationalement. Mais il y a une génération qui met beaucoup de temps à sortir de Bruxelles. Elle ne se situe pas tout à fait en début de parcours, ou n’est tout à fait confirmée. Entre ces deux extrémités, elle a besoin de soutien pour se développer à l’international. Il s’agissait d’identifier des spectacles qui devraient tourner davantage et de leur donner plus de visibilité par le biais de l’événement. Le festival présente donc beaucoup de reprises et a déjà fait pas mal parler de lui puisque dès son annonce, une trentaine de professionnels (programmateurs, producteurs, journalistes, …) ont manifesté leur intérêt pour la programmation.
Démarrage en fanfare
Avec une telle volonté de promouvoir la création bruxelloise, on peut s’étonner que le festival s’ouvre avec un spectacle intitulé German Staatstheater (théâtre d’État allemand), le 8 février aux Halles. « C’est le spectacle le plus bruxellois du festival », sourit Matthieu Goeury. La scène bruxelloise compte à la fois des artistes issus des écoles locales et des artistes, attirés par des aspects positifs de la capitale (comme l’habitat moins cher que dans d’autres villes), sans lieu mais qui occupent une scène alternative. Rosie Sommers et Micha Goldberg sont de ceux-là.
Au sein de Volksroom, un espace off pour l’art de la performance situé à Anderlecht, ils ont créé avec succès Ne Mosquito Pas, un assemblage de plus de quarante solos dont le contenu s’appuie sur l’interprétation de situations sincères et audacieuses de dans lesquelles « l’échec » occupe une place centrale, transversale. L’idée est de tenter sur scène ce qu’ils n’oseraient pas réaliser dans une grande production. Le sentiment de tenter l’impossible amplifie les émotions , les amène à surjouer comme dans la forme souvent exagérée de la pièce de théâtre classique devenue une tradition allemande reconnaissable dans le monde du théâtre. La pièce, déjantée, est jouée en allemand mais personne sur scène ne parle allemand.
Sur scène, treize interprètes, comédiens, danseurs, DJ, francophones, Flamands, étrangers de Bruxelles. « Pendant une heure, on s’accroche à son siège », prévient le directeur des Halles qui souligne la valeur exemplative de cette performance. Il s’agit d’une bande d’artistes bruxellois, issus de la scène alternative, mais qui s’emparent de grands lieux comme le Toneelhuis à Anvers ou le Viernulvier à Gand. Ils montrent comment la diversité de la scène alternative peut entrer dans les réseaux officiels et les bousculer. Ils s’emparent du format institutionnelle le plus criant, sclérosé, pour le transformer en une nouvelle création.
La richesse de Bruxelles réside dans sa jeunesse et la sa diversité culturelle. Ce sont deux atouts majeurs pour une scène artistique qui explose notamment en matière de musique ou d’écoles d’art. La création va se transformer avec le temps et le German Staatstheater ne serait peut-être pas possible à mettre sur pied ailleurs qu’ici.
Parcours initiatiques
Le titre du festival vient d’un proverbe africain qui dit: « Il faut un village pour élever un enfant » (It takes a village to raise a child). En gros, cela signifie qu’une communauté entière de personnes doit subvenir aux besoins des enfants pour leur permettre de vivre et grandir dans un environnement propice à leur épanouissement. Les organisateurs ont ainsi retenu l’idée que c’est en collaborant que l’on crée de grandes choses. Dans cet état d’esprit, les partenaires ont essayé de croiser au maximum les spectacles en présentant des production flamandes dans des lieux francophones et vice-versa.
Cette volonté se traduit également par la création de cinq parcours qui devraient permettre de découvrir les artistes des deux communautés. De cette manière, voir l’œuvre totale qu’est le German Staatstheater peut amener le spectateur à découvrir « DISQUIET – sensational aesthetics of a technokin » de Lisa Vereertbrugghen, un solo techno en club dans lequel la danse hardcore offre un espace pour l’invention et l’émergence d’un ailleurs alternatif, ou encore Zones of Resplendence où Carolina Mendonça et Lara Ferrari se demandent à quoi pourrait ressembler une armée féminisée.
Le programme est copieux et ambitieux. Pas étonnant, dès lors que le festival annonce un rythme biennal. Il devrait se dérouler tous les deux ans, pour mieux aider la scène bruxelloise entre deux éditions. Deux ans, c’est en effet le temps estimé nécessaire pour accumuler de la matière artistique afin de nourrir chaque édition sans tomber dans le best-off de la saison. Et lorsqu’on interroge Matthieu Goeury sur l’objectif que s’est fixé festival, la réponse est simple : « qu’il soit rempli, que les œuvres se diffusent à l’international, que les programmateurs repartent avec des œuvres provenant des deux communautés ». C’est tout ce qu’on lui souhaite.
Festival It Takes A City
Benjamin Khan, buren, Carolina Mendonça, Castélie Yalombo Lilonge, Jonas Chéreau, Khadija El Kharraz Alami, Lila Magnin, Lisa Vereertbrugghen, Marthe Degaille, Milø Slayers, Némo Camus & Robson Ledesma, Rosie Sommers & Micha Goldberg et Sophia Rodriguez.
Du 8 au 17 février 2024 dans différents lieux bruxellois, programme complet sur www.ittakesacity.brussels