Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ? D’où venez-vous ?
Olivier Bocquet : Je suis français et La Princesse des glaces est mon troisième album paru. J’en ai publié deux chez Dargaud, dont un est sorti la semaine dernière : La Colère de Fantomas, tome 2. Avant ça j’ai aussi publié un roman et travaillé un peu pour la télévision.
Léonie Bischoff : Je suis Suisse et j’habite en Belgique depuis plusieurs années. J’étais venue pour faire l’école Saint-Luc et La Princesse des glaces est mon troisième album, en comptant un tout petit album sorti il y a longtemps qui s’appelait : Princesse Supplex (ndlr : publié chez Manolosanctis). Je fais donc des histoires de princesse.
Vous venez tous les deux de pays différents, comment la rencontre s’est-elle faite ? Vous connaissiez-vous déjà ?
L.B. : C’est Casterman qui nous a contactés dans le but de faire cette adaptation, et qui nous a mis en contact, en espérant que ça colle et, heureusement, cela fonctionne.
Comment le travail se déroule-t-il quand on est éloigné l’un de l’autre ?
O.B. : J’écris le scénario et je l’envoie à Léonie et ensuite elle m’envoie les planches. Je pense que ce n’est pas très différent que si on travaillait dans la même pièce, même s’il y a des petits délais entre l’envoi et la réception. On a travaillé dans le même atelier pendant le mois de juillet, c’était confortable mais on se débrouillait assez bien tout de même.
L.B. : Il y a un côté agréable dans le travail en live, mais, en soit, ce n’est pas du tout nécessaire. C’est aussi des métiers où nous sommes assez concentrés, très solitaires. Et même quand l’on est dans la même pièce, on se montre notre travail par petits coups mais on reste chacun de son côté. Donc, beaucoup par e-mail et parfois par téléphone.
O.B. : En général, ça va. Par exemple, la dessinatrice de La Colère de Fantomas est québécoise. Je ne l’ai rencontrée qu’après la sortie du premier album.
Vous avez choisi de passer une semaine sur les lieux de l’histoire. Comment cela s’est-il passé et qu’est-ce que cela vous a apporté pour l’élaboration de l’histoire ?
O.B. : Une complicité ! On s’est découvert là-bas. On a su que le travail allait fonctionner en étant là-bas. Pour la BD en elle-même, ça l’a enrichie considérablement.
Aussi bien Léonie que moi, on a travaillé sur des fantasmes. Dans Hoodoo Darlin, Léonie a imaginé le bayou de Louisiane et sur La Colère de Fantomas, j’ai imaginé une sorte de Paris des années 1910. C’est agréable à faire, mais, ici, on était face à l’histoire d’une personne qui vivait à l’endroit décrit. Il n’y avait rien de particulièrement outrancier. On est allé là-bas car on avait besoin de réel, de trouver les lieux, l’ambiance. On sait aussi quelle est la lumière, quel est le son. Par exemple, si on avait fait cet endroit imaginaire, on aurait été sur Google Map voir les photos, on aurait vu que c’était une cité balnéaire où il y a plein de touriste en été et on aurait mis plein de figurants dans la rue aussi en hiver. Alors qu’en hiver, il n’y a pas un chat, la plupart des maisons sont fermées. Ou encore des détails comme : comment sont fait les maisons, …
L.B. : Ça donne un véritable côté exotique à l’album car il y a de l’authentique suédois dedans.
Comment Casterman est-il venu vers vous avec ce projet ? Quels étaient leurs objectifs avec ce projet ?
O.B. : Je pense qu’ils ont eu envie d’adapter cette série et que l’éditrice a bien aimé le livre. Pourquoi nous ? Pourquoi pas des auteurs stars ? (Camilla Läckberg a publié environ 40 millions d’exemplaires)
Ils avaient sûrement juste envie de miser des jeunes.
L.B. : C’est un mystère !
A contrario, quels étaient vos objectifs avec cette BD ? Que comptiez-vous apporter de plus par rapport au bouquin ? Quel est le but de faire une BD sur un livre qui a déjà touché des millions de personnes ? Qu’est-ce que cela apporte en plus ?
L.B. : C’est justement d’apporter une relecture. Le livre est tout de même assez long, dilué ; les choses se passent lentement. De plus, un des points qui nous intéressait le plus, c’est le rapport à l’enfance, les regrets, la nostalgie, le secret, l’innocence perdue, etc. C’est juste évoqué dans le roman et on voulait mettre ces points plus en avant. En gardant la même trame narrative, on pensait pouvoir raconter cette histoire d’une autre manière, et pas juste une redite.
Ces thèmes sont-ils des thèmes qui vous tiennent à cœur ou bien vous les avez découvert pour cette BD ?
O.B. : On accepté cette BD après avoir lu le livre. Et le livre n’est pas précisément ce que, nous, on aime. Par contre dedans, les choses qui nous plaisent sont communes. Les thèmes qu’on a mis en avant, sont ceux qui nous plaisent, qui nous touchent et feraient de cet album, notre album et pas seulement un roman illustré. C’est aussi universel : on a tous une nostalgie de notre enfance, tous eu des drames, des tristesses. C’était présent dans le livre et on l’a fait remonter à la surface. C’est en ça que la BD est différente du livre, dans la narration.
C’est assez rare de passer d’un livre à une bande-dessinée. Comment passe-t-on d’un livre à une BD ?
O.B. : En pensant en termes visuels plutôt que littéraires. En transformant au maximum ce qui est dit en choses montrées. En évitant aussi au maximum les références au livre, de ne pas utiliser une « voix off ». C’est assez facile de prendre des extraits du bouquin et les illustrer. Mais ça ne m’intéressait pas. Je voulais en faire un véritable objet de BD. Et pour Léonie c’était pareil, elle avait plein d’idées pour le raccourcir.
L.B. : Dans le découpage, on a un dialogue qui dit quelque chose et des personnages qui se montrent par leur attitude, leur position, …Il suffit parfois d’un regard ou d’un demi-sourire pour faire dire complètement autre chose au dialogue et, du coup, on peut se servir aussi du second degré : les personnages peuvent faire preuve d’humour pour qu’on le sente directement, plutôt que d’utiliser tout un discours pour démentir ce que quelqu’un vient de dire. Il suffit d’un regard en coin, de quelqu’un en arrière pour comprendre qu’il se désolidarise de ce discours. Par un regard, une attitude, un haussement d’épaule, on peut le faire comprendre alors que, dans le livre, cela peut prendre une demi-page.
Par à rapport à la compréhension, j’ai justement beaucoup aimé le début, où l’on présente chaque personnage, comme si la BD était déjà commencée. Était-ce nécessaire pour la compréhension du lecteur ? Comment cette idée est-elle venue ?
O.B. : Tout d’abord aller à l’économie. Je n’avais pas envie de faire des pages et des pages sur les personnages ; ce n‘est pas les scènes les plus passionnantes d’un bouquin. Je voulais les mettre directement dans l’action. La solution était de mettre une sorte de petite bible, que les gens lisent en comprenant plus ou moins, mais où ils pourront revenir par la suite. Il y avait plusieurs moyens de les présenter, et on a décidé de les faire s’adresser au lecteur. On a même un personnage qui dit directement qu’il est mort. Cela met tout de suite une proximité, ça dit venez dans notre univers.
On a aussi montré la perte de l’enfance en mettant le même personnage adulte et enfant dans la même case. Ce qui montre que l’on va parler des deux et de ce qu’il y a entre.
Une image qui m’a fort marquée, c’est l’héroïne, qui est morte, sur la table du médecin légiste et son mari qui lui fait une déclaration d’amour sur son corps, en trame de fond, alors qu’elle est ouverte pour le rapport médico-légal. C’est la scène qui m’a paru la plus trash alors que d’autres thèmes sont bien pires.
L.B. : Ce qui est terrible c’est que ce sont les mots d’amour qui la rendent si violentes. Des scènes d’autopsie, on en a déjà vues assez dans des films. Ce n’est plus si violent, mais le fait d’avoir des mots d’amour ou érotiques, au-dessus de l’image, la rend très triste.
O.B. : Le côté un peu trash est là aussi, car il n’y a qu’une seule image aussi dure dans tout l’album. Ce qui la rend encore plus frappante.
Si on avait fait un autre livre, on aurait plus multiplié les images choquantes, mais, au bout d’un moment, ce n’est plus si intéressant, ça ne fait pas le même effet.
Est-ce que vous avez eu des contacts ou des retours de l’auteur original ?
L.B. : Pas encore. C’est une curiosité de savoir ce qu’elle en pensera. L’agence qui gère les droits a reçu le bouquin. Elle nous a dit que c’était très beau et qu’ils allaient montrer la BD à l’auteur. Peut-être que l’on aura un retour plus tard…. On a eu beaucoup de libertés, donc on ne peut pas exiger quoique ce soit.
Le septième tome de la série vient de sortir en français, est-ce que cela développe un univers à explorer ou avez-vous juste développé un one-shot ?
O.B. : On a déjà signé pour les trois premiers, suite au contrat entre Casterman et l’agence des droits de Camilla Läckberg, avec une option pour les trois suivants. Et c’est assez rare dans le monde de la BD, de pouvoir signer pour les trois premiers tomes, sans savoir s’ils vont fonctionner. En tout cas, dans les trois premiers tomes, on essaye de se faire interpénétrer les trois albums.
Avez-vous déjà commencé à travailler dessus ou allez-vous les concevoir un par un ?
O.B. : Sur le deuxième, par exemple, on a décidé d’insérer des personnages qui vont mourir dans le troisième, pour qu’on ait un peu plus le temps de s’y attacher. Ce qui n’était pas le cas dans le livre où Läckberg ne savait pas forcément déjà ce qui allait se passer dans le roman d’après. On a l’avantage de pouvoir connaitre le futur.
Combien de temps mettez-vous pour faire un album ?
L.B. : On a été assez vite sur celui-ci. On a mis huit mois à tout faire. Et surtout grâce aux coloristes, car sans eux on aurait mis six mois de plus. Il y avait aussi beaucoup de travail en amont de la part d’Olivier.
Pour terminer, avez-vous chacun des projets personnels ?
O.B. : J’ai le troisième tome de La Colère de Fantomas, l’année prochaine, et je suis en train de travailler sur une nouvelle série originale pour Casterman. Mais, il y a un blocus absolu. Par contre, ils aiment tellement l’idée qu’ils ont décidé de me payer pour le développement, plutôt qu’à la livraison des planches.
L.B. : Pour le moment, je peux pas trop en parler. J’aurais sûrement un projet qui irait vers le western. Mais c’est tout ce que je peux dire.
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