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    Interview de Mourad Boucif, réalisateur des Hommes d’Argile

    Après neuf années d’attente depuis son documentaire La couleur du sacrifice, Mourad Boucif nous émeut de nouveau avec sa troisième fiction Les Hommes d’Argile. Rencontre avec un self-made man qui se bat contre les inégalités.


    Vous vous êtes clairement inspiré de votre documentaire La couleur du Sacrifice qui traite de la seconde guerre mondiale et de la façon dont la France a « pioché » dans ses colonies pour envoyer des hommes sur le front. Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser Les hommes d’argile ?

    Je suis avant tout dans la fiction même si cela reste du docu-fiction. Initialement, j’étais parti sur une fiction mais c’était un peu trop lourd au début et je n’ai pas trouvé de producteur enthousiaste étant donné l’envergure du projet, notamment pour la reconstitution de la bataille. Alors on s’est dit avec Vanessa Brichaut (coproductrice du film) que l’on allait le produire nous-mêmes. C’est ce que nous avons fait et il a fallu 10 années de production et 7 années de tournage : En 2004, nous avons crée notre première structure belge puis marocaine en 2005. Le tournage a réellement débuté en 2008.

    Cela n’a pas dû être simple d’être réalisateur et producteur à la fois…

    Nous n’avions pas d’autre choix que de l’autoproduire sinon nous devions renoncer à ce projet, à ce rêve. Etre réalisateur, ce n’est pas évident mais être producteur, c’est encore plus difficile. Cette double casquette ne vous aide pas d’autant plus que c’est un film de reconstitution. Nous avons donc travaillé par étape. Beaucoup nous ont rejoints au fur et à mesure du projet. Nous avons eu une superbe équipe qui nous a suivis pendant des années malgré le peu de financement. C’était très dur, les conditions n’étaient pas évidentes, mais nous avons eu le soutien de la Belgique et du Maroc. Et tout cela a crée une belle alchimie. Une âme.

    Tourner dans le désert a-t-il été difficile?

    Ça n’a pas été facile. Avec peu de moyens et des accès limités malgré une grosse ambition. Logistiquement parlant, c’était compliqué. Nous avons essuyé une tempête de sable qui nous a abîmé un traveling, une caméra… Ce n’est  rien de grave. Ce qui était intéressant aussi, c’est que l’actrice, Magaly Solier, ne parle qu’espagnol. Nous avons réussi à communiquer avec des interprètes et à travers les gestes tandis qu’elle a appris 84 phrases en dialecte marocain !

    Humainement, c’était une expérience extraordinaire. Il y a des choses qui nous échappe, nous ne maitrisons pas tout. Et c’est ce dont parle ce film. Si nous étions cartésiens, nous n’aurions pas réalisé ce film avec Vanessa Brichaut.

    Après autant de temps de tournage, le résultat est-il celui auquel vous vous attendiez ?

    Ça ne ressemble pas à ce qui était initialement prévu parce que les choses bougent au fur et à mesure des rencontres et du temps, une forme de maturité d’écriture avance, le choix de production, les choix artistiques. Initialement, j’étais parti sur une dimension plus historique tout en souhaitant aller un peu plus loin que dans le documentaire. Mais la rencontre, lors du documentaire déjà, avec tous ces hommes intègres, proches de l’essentiel avec des valeurs très fortes et une simplicité, une humilité extraordinaires, fait que nous sommes entrés dans une réflexion métaphysique. On a souvent des clichés par rapport à ces personnages : qu’ils ne sont pas lettrés, qu’ils vivent dans des villages reculés, qu’ils sont très cartésiens. Mais nous avons abusé de ces hommes. C’est pourquoi nous devions aller beaucoup plus loin avec la fiction. Et nous sommes très contents du résultat obtenu avec peu de moyens. Nous avons très peu de frustration.

    Il y a une réelle dimension humaine dans ce film…

    Oui, ce sont des personnages qui vont à la rencontre de l’autre. C’est une façon de montrer différemment l’ennemi, l’opposé. C’était sans doute le meilleur prisme pour pouvoir dénoncer cette grande folie humaine qu’est la seconde guerre mondiale. C’est ce contraste qui donne la force du film.

    Quel impact souhaiteriez-vous qu’ait ce film ?

    Celui que l’on vit actuellement. D’émouvoir. Nous en sommes à une dizaine d’avant-première, tout public confondu. (Classe social, âge…) J’ai pris beaucoup de risques assumés : quand nous sommes dans un entre-deux, nous sommes au milieu et ce n’est pas facile de séduire tout le monde. Les personnages : on ne sait pas s’ils sont pratiquants, athées… et c’est volontaire. Je voulais vraiment que chacun puisse s’identifier. J’ai également choisi une musique mixte, plutôt universelle afin de ne pas avoir un son qui communautarise.

    D’ailleurs, la ministre Milquet qui est venu voir le film lors d’une avant-première, a décidé d’en faire un outil pédagogique avec 6 thématiques qui sortira bientôt. Le film porte donc des enjeux importants.

    Vous êtes très actif : vous militez avec plusieurs organismes belges et internationaux. Est-ce de là que vous puisez vos idées ?

    Nos travaux sont toujours faits de rencontres, d’expériences, de parcours de vie, de cheminements… J’ai la chance d’avoir baigné dans la diversité interculturelle, je suis issu de plusieurs « entre-deux ».  Ça nourrit évidemment et ça doit sortir sinon ça déborde. Et quand on en voit un texte, un film qui en découle, c’est incroyable de voir l’émotion que ça procure.


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    Raphaëlle McAngus
    Raphaëlle McAngus
    Journaliste du Suricate Magazine

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