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    Interview de Achdé pour Kid Lucky

    Bonjour Achdé, cela fait maintenant douze ans que vous avez repris la série Lucky Luke, suite à la mort de Morris. Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs pourquoi vous avez fait cette nouvelle série Kid Lucky? Et quel en était le but ?

    J’ai voulu montrer, ici, une bande de copains. A la différence des autres séries, cette bande de copains prend plus d’importance parce qu’elle permet de faire un microcosme d’adultes (avec cette fraîcheur qu’ont les enfants), de poser les bonnes questions, de définir un caractère.

    Elle permet également d’aborder des questions différentes, en fonction des personnages et des thèmes plus graves. Je pars toujours du principe que, lorsque l’on fait de la BD jeunesse, il ne faut pas prendre le lecteur pour un imbécile. Les enfants sont très clairvoyants et ce ne sont certainement pas des crétins. Surtout aujourd’hui, avec cette génération qui a accès à internet

    Il faut donc leur parler comme à des adultes mais avec leur langage à eux. Ce qui est bien, c’est que les critiques ont tout de suite compris ma démarche. Si l’on compare au Petit Spirou, c’est un personnage qui est plus solitaire, plus indépendant du Spirou adulte. Graphiquement, j’essaie aussi de garder l’univers de Morris. Mais je n’ai pas fait un copier-coller de Lucky Luke. Ne vous attendez pas à voir les petits Dalton par exemple.

    C’est vrai que leur absence m’a un peu troublé au début… Car il est vrai que cela peut paraître logique par rapport à certains personnages, comme Rantanplan qui n’est pas encore né. Vous n’avez pas essayé de lui trouver un remplaçant pour autant…

    Non, parce que ça fait beaucoup de personnages. Il y a Jolly Jumper, mais cela se tient puisqu’un cheval vit plus longtemps. Pour les Dalton, cela ne collait pas. Parce que, lorsqu’on est enfant, notre croissance n’est pas la même. Et donc, ils auraient tous la même taille. Il serait alors impossible de les distinguer. Et puis ce serait idiot, pour moi, de prendre un univers et de le retranscrire en minuscule. Il n’y aurait pas de surprise et puis, ce serait répétitif.

    L’intérêt, pour le jeune lecteur, est de passer un jour de Kid Lucky à Lucky Luke. Et pour l’adulte, c’est de se demander « Tiens, comment était-il petit ? » C’est une autre approche, mais en début d’album, je fais toujours une histoire en 6 planches, qui est toujours un lien entre le monde de Lucky Luke et le monde de Kid Lucky. J’ai demandé, aussi, au coloriste d’accentuer un peu cette partie, pour bien faire la distinction entre les deux. Mais on tâche de faire cela doucement, parce qu’un enfant ne connaît pas nécessairement tous ces codes narratifs, dans la Bande Dessinée.

    Je suis peut-être « vieille école », mais je préfère être prudent, et puis les enfants me disent ce qu’ils en pensent. Mes premiers lecteurs, avant même que je montre mon travail à l’éditeur, ce sont les enfants. J’ai trois enfants et, dans l’élaboration de cet album par exemple, ils m’ont fait recommencer une planche. Parce qu’ils ont mis le doigt sur une erreur où j’avais traité le sujet du point de vue d’un adulte. Et ils m’ont dit « Non, on ne pense pas comme ça. Ce n’est pas possible. » Et j’ai refait le gag.

    Je dois dire que je n’avais pas réalisé, au départ, cette différence entre la lecture que peut se faire un adulte, et celle faite par un enfant. Il ne faut pas que ce soit « gnan-gnan », mais il ne faut pas non plus que ce soit trop adulte. Il faut un juste équilibre. Que ce soit abordable, tout en traitant des sujets aussi graves que la potence, par exemple. Ici par exemple, il y a un extrait où l’on retrouve les questionnements de Kid Lucky face à un bourreau. Dit comme ça, ça paraît horrible. Pourtant, je rassure les parents, ça ne l’est pas du tout. Mais c’est vrai que dans l’Ouest, quand on volait un cheval, on était pendu. Donc, Kid voit un bonhomme dans la rue dont le métier, c’est de pendre les gens.

    Oui, je me suis demandé où vous alliez atterrir avec un tel récit…

    En effet, mais j’ai laissé ces questionnements à la hauteur de l’enfant. C’est à dire que Kid, lui, se demande si le monsieur ne peut pas plutôt recevoir une fessée de tante Martha. Parce que, pour lui, c’est la punition ultime. Et donc, voilà, les enfants n’ont pas été choqués. Parce qu’un enfant n’est pas choqué par un thème (aussi grave soit-il). Il est plutôt choqué par la traduction que l’on va en faire, la façon dont on va le traiter. Dans cette histoire, par exemple, ça ne se termine pas bien pour le bourreau. Donc ça fait rire les enfants, ça dédramatise le sujet. Et pourtant, je l’ai abordé, je n’ai pas hésité.

    C’est vrai que pour les parents, la question de la bonne manière de parler de choses graves à leurs enfants est une thématique qui revient souvent. Il faut se mettre à son niveau. L’enfant est prêt à écouter tout, pour autant qu’on essaie de parler son langage. On peut le faire aussi avec humour. Parce que la vie est déjà assez triste comme ça ! Quand il pose une question délicate, il ne faut pas lui répondre « Tu comprendras quand tu seras grand. » Ça, c’est une connerie à ne pas faire. Parce que l’enfant va faire une interprétation erronée, du fait qu’aujourd’hui, avec les médias, on a une vision du monde qui est tronquée. Aujourd’hui, le sensationnalisme, le sexe et la violence ont pris le pas sur l’information. Il y a tellement de belles choses dans le monde, que je pense que l’on devrait plutôt se concentrer là-dessus. Les enfants n’ont pas besoin de grandir trop vite. Il faut qu’ils grandissent, bien sûr, mais à leur rythme. On peut donc leur épargner certaines choses.

    Mais bon, je ne souhaite pas intelectualiser mon propos. Je fais de la BD, j’essaie de faire rire les grands et les petits. Je perpétue une tradition que je trouve très belle : la Bande Dessinée « tout public ». Je suis un grand fan de la BD « populaire », en offrant à un maximum de gens un minimum de partage. Et en disant: « Voilà, j’ai une histoire à raconter, j’espère qu’elle va vous plaire » : je n’essaie pas d’éluder certaines questions. Par exemple, pour l’histoire de la potence, j’en parle, mais il n’y a aucune violence au final. Dans le premier tome, les enfants jouent à cache-cache dans un hangar et l’un d’eux se retrouve dans une boîte. Il s’avère à la fin que c’est un cercueil. On ne se moque pas du sacré et on dédramatise la mort. Je dédramatise aussi le monde des adultes, avec ces duels, dans lequel on voulait se montrer plus fort que l’autre en le tuant.

    Il faut dire aussi que l’on connaît mal le Western. On n’en a que la vision d’Hollywood.

    Oui, c’est évident. Pour ma part, je me suis beaucoup documenté. J’ai appliqué la méthode de Goscinny qui consistait à s’appuyer sur de la vérité. Puis, on va déformer celle-ci pour la rendre rigolote.

    Evidemment, Lucky Luke est un pastiche de western. C’est la raison pour laquelle on retrouve toujours une ville idéale avec tous les éléments typiques du western. Mais à côté de cela, on s’appuie sur un point historique et on va rigoler avec. Donc moi, je suis allé chercher, dans différentes bibliothèques publiques américaines, des photos et divers documents sur la vie des colons. Ainsi, on voit comment ils vivaient réellement. Et on a donc une vision qui n’a rien à voir avec Hollywood.

    Tout d’abord, les tenues vestimentaires des colons étaient souvent identiques à celles de leur pays d’origine. Il suffit de voir la photo de Billy The Kid pour comprendre. Sur cette photo, il a un chandail, un chapeau mou. Je ne sais pas où il mettait son flingue, parce qu’un étui coûtait cher à l’époque. Les gens ont donc une vue faussée par ce que leur a proposé Hollywood.

    Il est vrai que, lorsque l’on voit les photographies de l’époque, prises par Curtis et d’autres, on est parfois très étonné de voir ce contraste entre la réalité et ce que l’on nous a « vendu » comme la vie au temps du Western.

    Tout à fait, quand on regarde le travail des photographes itinérants à l’époque, on voit les enfants pieds nus dans la boue, on voit des cahutes, etc.

    On a en tête l’image de Davy Crockett, le coureur des bois (ça s’appelait comme cela à l’époque). Et en fait, c’est bien de cela qu’il s’agit, puisque ces gens vivaient dans les bois, faisaient du commerce et avaient ainsi d’excellentes relations avec les Indiens. Leur but était de faire de la fourrure et de la vendre. Ils ne venaient pas là pour les terres. Tandis que les Anglais, eux, voulaient les terres. Ensuite, il y avait la troisième population invasive, les Espagnols, qui cherchaient l’or. Donc, vous voyez, c’était trois visions différentes de la Conquête.

    Il faut dire qu’à l’époque, les Français détenaient un tiers du continent américain ! Et donc, dans Lucky Luke, j’aime bien mettre des noms de villes auxquels on ne s’attend pas. Dans l’un des tomes, Lucky Luke participe à un rodéo dans une ville qui s’appelle Eau Claire. En effet, si l’on regarde une carte de cet état, on voit que la plupart des villes avaient des noms français comme Lafayette, etc.

    Les gens oublient ce mélange de Français, d’Espagnols et d’Anglais qui existait à l’époque. Le cinéma a uniquement prit le côté WASP (White Anglo-Saxon Protestant) qui est minoritaire aujourd’hui. D’ailleurs, si l’on regarde l’Amérique moderne, c’est plutôt un pays hispanisant et caribéen. Lorsque l’on se rend en Floride, il vaut mieux parler l’espagnol et le français que de parler l’anglais, aujourd’hui.

    Ceci dit, on voit que ce phénomène commence à être visible dans les productions actuelles.

    Oui, mais les Américains ont eu peur de mettre trop en avant l’espagnol, car, dans la Constitution américaine, la langue n’a pas été stipulée ! Donc, si demain, un Etat décide de parler l’espagnol, personne ne peut s’y opposer. C’est une grande crainte des Américains et ça m’a poussé à m’intéresser davantage à la francophonie et à la présence des Français en Amérique du Nord. C’est ainsi que j’ai découvert que Roosevelt, que l’on présente toujours de façon positive, a, en Louisiane, interdit le français à tout personne voulant obtenir un job de fonctionnaire ! Le français était aussi interdit à l’école ; les tribus indiennes qui ne parlaient que le français et leur langue d’origine (du Mississippi à la Floride) ne devaient plus parler le français si elles voulaient obtenir des aides. On a donc bloqué, tout écrasé pour essayer de former une nation uniforme. Sans doute pour essayer d’obtenir un peuple plus ou moins homogène. Mais c’est, bien sûr, impossible dans un pays de migration comme les Etats-Unis. Et c’est ce même phénomène que l’on est en train de retrouver pour l’espagnol.

    Donc c’est aussi intéressant pour Lucky Luke et Kid Lucky (ce n’est pas une obsession chez moi, je vous rassure) de saupoudrer çà et là de la véritable Histoire des Etats-Unis.

    Je rêve par exemple un jour de montrer une cabane (comme 80 % de ce qui était construit à l’époque dans les grandes plaines de l’Ouest) dont les toits étaient faits en terre. Parce que c’était chaud et qu’on pouvait y faire pousser du gazon. De plus, vis-à-vis des Indiens, il leur était impossible d’y mettre le feu. Car, contrairement à ce que nous montre Hollywood, on ne mettait pas le feu à un campement aussi simplement !

    Donc, voilà un peu toutes les raisons pour lesquelles j’ai voulu faire Kid Lucky. Je souhaitais retrouver un lectorat d’enfants, car, c’est pour moi, le meilleur. Ils ne vous font pas de cadeaux ! Et quand ce n’est pas bon, ils vous le disent. A l’inverse, quand je les vois, en dédicaces, repartir le sourire aux lèvres, pour moi, le pari est gagné. Et ce qui est marrant, c’est que, contrairement à auparavant, les enfants viennent vers moi par le dessin animé plutôt que par l’album. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a de nouveau un intérêt plus manifeste, aujourd’hui, pour les Daltons, car le dessin animé cartonne !

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    Christophe Pauly
    Christophe Pauly
    Journaliste et photographe du Suricate Magazine

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