Titre : Inlandsis Inlandsis
Auteur : Benjamin Adam
Maison d’édition : Dargaud
Date de parution : 17 janvier 2025
Genre du livre : Roman graphique
Avec Inlandsis Inlandsis, Benjamin Adam inaugure la collection Charivari de Dargaud, pensée pour apporter une touche d’irrévérence à la traditionnelle maison d’édition. Retour sur une bande dessinée complexe, à la hauteur de cette ambition.
L’Antarctique trône au pôle de la terre avec une élégance frigide. Elle en a fait tourner en bourrique des explorateurs fantasques, des imbéciles intrépides. Des hommes qui ont accepté de braver la solitude pour pouvoir prétendre la dompter. Parmi eux, Claude Lorius. Quand d’autres deviennent fonctionnaires, Claude Lorius, lui, consacre son existence à la glace. Il la sonde, l’ausculte, l’étudie. Il la cajole. Et tout ce temps passé en la compagnie de cette maîtresse exigeante, finit par payer. Il découvre à la glace une capacité de mémoire permettant de dater des évènements historiques et de leur attribuer une cause. Sur base de cette révélation, s’est crée Ice Memory, un projet de préservation de certaines couches de glace, en leur qualité d’archives pour les générations futures. Mais des températures augmentant au-delà des limites de l’imaginable menacent l’existence du projet.
Nous sommes en 2046, deux auteurs de bande dessinée sont mandatés pour analyser l’Ice Memory et convaincre le public de son importance. Beaucoup de choses ont changé en 2046. Les écrans dominent encore plus l’espace public. Un statut de santé valide est nécessaire pour pénétrer certains endroits. Et le paysage urbain a des airs de guerre civile. Mais une chose est immuable, c’est le cliché auquel répond le dessinateur de bande dessinée. En 2046, ils sont toujours ces loosers patentés, la quarantaine bedonnante et tassante, sauf qu’en plus, depuis la crise du papier de 2030, leur art est devenu un produit de luxe qui a perdu en popularité. Et donc voilà nos deux héros sédentaires bravant le froid et la solitude, mal taillés pour une mission aussi périlleuse.
En parallèle, il y a Marie. Marie pilote le projet à distance. Son rôle consiste notamment à dénicher les actionnaires et à gérer l’intendance. Mais depuis qu’elle a reçu un coup sur la tête, la mémoire à court terme de Marie est défaillante. Voire carrément obsolète. La wonder-woman des temps futurs, qui jongle entre le travail et l’éducation de son fils, tout en mettant un point d’honneur à ce que ses absences restent cachées, doit religieusement reporter chaque minute de son existence dans un carnet.
Inlandsis Inlandsis est donc comme la glace, une histoire en plusieurs couches. Le projet repose sur son ambition de rassembler différentes temporalités autour du thème de la mémoire. La mémoire collective, comme la mémoire individuelle. Et puisque la narration se construit sur plusieurs niveaux, la mise en page suit le même principe. Le graphisme s’adapte aux situations et refuse la linearité.
C’est en grande pompe, donc, que Dargaud ouvre sa collection Charivari. Héritier du journal satirique éponyme, Charivari devrait s’imposer comme la fille rebelle et irrévérencieuse de la maison d’édition. Parce qu’il est engagé et surtout anticonformiste, Dargaud n’aurait pas pu trouver meilleur album qu’ Inlandsis Inlandsis pour donner le ton de cette nouvelle collection. Mais malgré la finesse de son écriture, Inlandsis Inlandsis n’est pas tout à fait exempt de faiblesses. En fait il en a une. Il est pensé en deux volumes, ce qui avec un tel niveau de complexité dans la narration, risque de mettre à mal notre mémoire.