De Lee Blessing, mise en scène de Jacqueline Préseau, avec Karinne Bonnel, Jacqueline Préseau, Céline Robaert et Valérie Drianne
Du 23 janvier au 15 février 2015 à 20h30 au Théâtre de la Flûte Enchantée
Dans la petite ville d’ Independence en Iowa, les trois filles d’Evelyn Briggs tentent d’acquérir ou de préserver leur indépendance vis-à-vis de leur mère, de plus en plus en plus gagnée par une folie sourde et rampante. L’aînée Kess, professeur d’université et lesbienne assumée, revient au foyer familial à la demande de la benjamine Jo, qu’une grossesse inattendue a rendue complètement dépassée par les événements, tandis que la cadette Sherry, frivole et libérée, attend impatiemment la fin de sa scolarité pour pouvoir s’émanciper de l’emprise de sa mère et partir loin d’Independance.
La pièce de Lee Blessing s’inscrit pleinement dans la tradition d’un théâtre américain très psychologique – voire psychologisant – et s’applique à décrire de l’intérieur le système déréglé qui régit une famille dysfonctionnelle subissant indirectement les affres de l’Amérique profonde. Il y a un côté pervers à montrer ainsi la déstructuration quasi-complète d’un noyau familial, laquelle a néanmoins pour but ultime l’accession à la fameuse indépendance du titre. Cette dimension allégorique appuyée du titre à double sens est également très représentative de ce type de théâtre et situe bien la démarche et la nature du texte.
La mise en scène de Jacqueline Préseau – également interprète du rôle d’Evelyn et directrice artistique du théâtre – est simple et classique, mais en totale adéquation avec le texte qu’elle sert. On sent très bien que le but est ici de laisser s’exprimer le mieux possible les quatre comédiennes, sans artifices, de la même manière que le texte a probablement été écrit avant tout pour offrir quatre beaux rôles de femmes. Chaque comédienne a d’ailleurs sa propre partition très définie et dès lors un type de jeu différent. Si le jeu de Jacqueline Préseau est très nerveux et déclamatoire, il convient parfaitement au rôle d’Evelyn et accentue le côté instable de celle-ci, entre bonhomie et inquiétude. On peut également pointer l’interprétation enlevée, et sur un registre plus comique, de Valérie Drianne dans le rôle de Sherry. Mais c’est surtout dans les différences et les contrepoints entre les quatre types de jeu que se crée une paradoxale osmose.
Enfin, il faut noter que le lieu même du théâtre joue beaucoup dans la réception de la représentation. Une pièce comme celle-ci prend une ampleur tout à fait différente dans le dispositif que propose le Théâtre de la Flûte Enchantée. Dans cette petite salle où scène et public se côtoient sans pour autant que soit aboli le quatrième mur, on se retrouve projeté au cœur de l’intimité de l’action, des personnages et des comédiens d’une manière totalement immersive. Le caractère unique de l’expérience provoque irrémédiablement l’émotion chez le spectateur car celui-ci vit presque les sensations des comédiens avec eux. Avant, pendant et après le spectacle, tout un chacun se retrouve projeté au cœur même d’une institution théâtrale, et est ainsi témoin du travail, de la passion et de la vie qui l’anime.