Titre : Ils se noieront dans les larmes de leurs mères
auteur : Johannes Anyuru
édition : Actes Sud
Collection : Lettres scandinaves
sortie : novembre 2018
genre : roman
Des camps de la mort au pays d’Ikea… un livre choc !
Il va falloir s’accrocher chers lecteurs, car dès le début de ce roman, vous allez être happés dans une scène de tension et d’angoisse intenses qui résonnent en chacun de nous depuis maintenant quelques années. Imaginez : vous vous baladez tranquillement dans les allées d’une librairie à la recherche du dernier auteur en vogue, des parents au bord de l’implosion suivent dans le rayon jeunesse leur progéniture hystérique qui a déniché T’choupi a perdu Doudou mais qui hésite encore avec Petit Ours Brun sur le pot, et d’autres attendent la rencontre littéraire qui va bientôt débuter. Une journée banale dans ce petit temple de la lecture. L’invité fait alors son arrivée. Il est caricaturiste et n’a aucun tabou. Encore moins en ce qui concerne la religion et les représentations du Prophète. Font alors irruption trois jeunes gens munis d’armes et de ceintures explosives. Ils ont prêté allégeance à Daesh. Dès lors, la suite des événements se déroulera dans les cris, la peur et le sang. Pourtant, tout ne se passera pas comme prévu. Nour, une des trois terroristes, fait capoter l’opération en tuant l’un des siens.
Seule survivante des trois guerriers, elle sera diagnostiquée schizophrène et internée. Quelques années plus tard, toujours pensionnaire d’un hôpital psychiatrique, elle demande à avoir un entretien avec un écrivain pour relater ce qui s’est passé ce jour-là.
C’est un livre sur la folie. La folie d’une femme qui prétend venir du futur pour contrer cet attentat à la librairie, lequel aurait peu à peu pour conséquence de diaboliser les musulmans pour ensuite les exterminer.
C’est un livre sur la folie. La folie de citoyens ordinaires qui, dans un futur proche, identifient certaines personnes sous prétexte de leur différence ethnique ou religieuse. Ensuite, elles les emprisonnent, les torturent, les violent, leur font subir des expériences médicales ou neurologiques.
Qui est le plus fou ?
L’histoire se passe en Suède, mais elle pourrait se passer n’importe où. Car malheureusement, les Hommes, d’où qu’ils viennent, en trouveront toujours d’autres à rejeter et à condamner. A travers ce roman d’anticipation qui prend ses racines dans notre Histoire contemporaine, l’auteur nous met en garde. Il redonne vie aux horreurs commises sur les Juifs lors la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi au sort inhumain des détenus de Guantanamo, aux abus commis sur les Irakiens d’Abou Ghraib, aux attentats de Charlie Hebdo, aux bombes meurtrières dans des villes européennes ou encore aux sillons meurtriers des camions-béliers un peu partout dans le monde.
Ce monde est bel et bien réel et n’est pas issu d’un cerveau malade. Que sort-il de ce monde ? De la peur, tout simplement. Certains font profil bas car elles font partie de la même communauté que les terroristes du moment, d’autres deviennent intolérants, d’autres encore deviennent ochlophobes (l’auteur aime les mots que personne ne connaît). Mais tous ont en commun la peur de l’Autre.
Tout comme l’écrivain de son histoire, Johannes Anyuru est métis. A la fois Suédois et Ougandais, il est probable qu’il ait connu un certain rejet pour ne pas avoir collé à l’image du Suédois-type. Quoi qu’il en soit, il parvient à s’immerger dans l’esprit de chacun des personnages. Le tout sans jamais pointer du doigt qui que ce soit ni pardonner l’inacceptable. Il réussit ainsi à élargir la vision des lecteurs sur les causes de la violence et les conséquences de la peur. Et rien que pour ça, on dit chapeau, car c’est un magnifique travail qui va bien plus loin qu’un roman de divertissement.
Seule infime touche négative, on se perd parfois dans l’écriture poétique de Johannes Anyuru, qui donne la parole en alternance à ses personnages. Mais au fil des pages, on retombe vite sur ses petites pattes de lecteur droit dans ses bottes, convaincu que ce sombre tableau n’est heureusement qu’une fiction.
Vraiment ?…