auteur : Eirikur Örn Norddahl
édition : Métailié
sortie : août 2015
genre : roman
Prix de la littérature islandaise 2012 ; prix des libraires islandais 2012 ; nominé pour le Nordic council literature prize 2014… La quatrième de couverture d’Illska est prometteuse ; le sous-titre, Le Mal, est un avertissement: ce roman d’Eirikur Örn Norddahl est un sombre tourbillon à propos de la résonance de l’Histoire chez les (sur)vivants.
Reykjavik, Omar et Agnes se rencontrent dans la file des taxis après une fête et se mettent en couple. Jeune homme solitaire, Omar est amoureux d’Agnes. D’origine lituanienne, Agnes est obsédée par la seconde guerre mondiale et le nazisme, auxquels elle consacre sa thèse. Peut-être parce que ses arrière-grands-parents ont été les uns bourreaux, les autres victimes. Agnes a pourtant une relation avec Arnor, un néonazi cultivé et bourré de tics. Lui aussi amoureux d’Agnes. Un jour, Omar découvre un anneau pénien sur son lit et boute le feu à leur maison.
La première moitié de ce roman-fleuve en un tome est impressionniste. L’auteur procède par petites touches énergiques et superpose les tonalités. Les personnages sont révélés par des dialogues brefs, des monologues volubiles, et des allées et venues temporelles et narratives. Entre ces passages, l’auteur évoque la Shoah (sous ses différentes nomenclatures), les victimes juives et toutes les autres parfois oubliées ; il parle aussi du nazisme et de ses avatars contemporains ; du racisme et de l’Europe actuelle ; il démystifie l’histoire et la politique de l’Islande, terre de glaciers et de volcans, mais aussi d’intolérance et de manœuvres nationalistes. Tout cela, il l’écrit dans un langage direct : il n’hésite pas à appeler « une chatte une chatte » (ou une « bite une bite », c’est selon), à apostropher le lecteur et à qualifier certains discours et décisions actuels de fascisme sans chemises brunes.
La deuxième moitié de l’ouvrage emprunte un style résolument romanesque, bien que toujours fragmentés par différents points de vue narratifs, dont celui nouveau-né d’Agnes, Snorri. Alors que dans la partie précédente les commentaires de l’auteur offraient des respirations et des réflexions dans la lecture, on est ici entraîné dans une spirale de malaise souvent, d’horreur parfois. Les actions et les motivations des trois personnages principaux sont parfois obscures – dans les deux sens du terme : incompréhensibles et pitoyables –, tout comme la fin en forme de point d’interrogation. L’auteur n’évoque plus la Shoah de l’extérieur, de façon factuelle, il la raconte désormais en long en large et nous y confronte. En relatant l’histoire des arrière-grands-parents d’Agnes, il nous place au cœur de l’oppression et de l’extermination des Juifs à Jurbarkas (Lituanie). Il ne nous épargne rien de l’ignominie des nazis, et surtout pas des Lituaniens envers leurs concitoyens (lituaniens) juifs. Cette deuxième partie, ce roman dans le roman, est ardue, longue, pesante.
Illska est un livre cru, froid, sombre, qui entretient le malaise qu’il crée. Ce que l’auteur a voulu faire, il le maîtrise ; l’esthétique et les codes d’écriture qu’il a choisis, il les manie aisément. Le journal allemand Profile a écrit « Voici sans le moindre doute le livre le plus inhabituel de la rentrée ». Illska a effectivement le mérite d’être original. A-t-il celui de plaire à ses lecteurs ? Rien n’est moins sûr.