Scénario : Marie Spénale
Dessin : Marie Spénale
Éditeur : Casterman
Sortie : 13 mars 2024
Genre : Roman graphique
Ça devait être une agréable croisière en amoureux. L’océan pris pour témoin d’une tendresse réciproque. Mais le bateau fait naufrage. Et Annie est emportée par une eau lourde et violacée. Heureusement, à son réveil, du sable fin lui chatouille les orteils. Son cuir chevelu brûle sous le soleil à son zénith. Elle est sauve et sur la terre ferme. Ou plus précisément sur un îlot de jungle habité par des singes beuglards et un jeune sauvage en pagne. Fini les supermarchés avec leurs promotions tapageuses, dont on ressort avec plus de vivres que prévu. Annie n’a d’autres choix que d’observer l’ermite pour comprendre comment se nourrir.
Ce n’est pas dans un roman de Daniel Defoe qu’Annie a atterri. Marie Spénale ne revisite pas Robinson Crusoe. Le naufrage sur l’île est principalement métaphorique. Peut-être un peu trop, même. L’enjeu n’est jamais la survie. Sans nul doute, elle s’en sortira. La noyade est une rupture avec le confort d’une vie bien rangée et l’île déserte la promesse d’une seconde jeunesse. Le tumulte des eaux qui s’est acharné sur Annie nous apparaît presque comme une crise de la cinquantaine. Dans l’imaginaire collectif, le droit aux doutes est un privilège d’homme. Dans les films, ils traversent bêtement cette période en s’offrant des voitures clinquantes et en reluquant avec insistance des filles plus jeunes. Mais les femmes aussi passent un jour la frontière entre les âges. Et Marie Spénale rend ce moment d’incertitude au féminin, beaucoup moins rustre. Pas d’achats m’as-tu-vu. Pas d’attitude de paon. C’est l’aventure qui attire Annie. Presque autant, ose-t-elle se l’avouer, que le corps buriné et vigoureux de l’îlien.
Pour toutes les femmes
La littérature n’a pas pour habitude de s’intéresser aux amours d’une femme d’un certain âge, sauf quand elle est le fantasme d’une jeune garçon ou qu’elle répond au cliché de l’épouse fidèle. La maîtresse, objet de passion, n’a jamais la chevelure grisonnante. Cette absence, Marie Spénale la remplit. Elle arrache ce droit à la littérature. En hommage à toutes les femmes. Annie est une princesse dont l’enveloppe charnelle est marquée par la vie et qui pourtant avoue ses désirs. Elle le fait avec pudeur et humilité. Avant d’être une mère ou une épouse, elle est une femme. Le sauvage ne parle pas, il est comme un enfant qui joue. Leur amour se consume dans le silence. Leurs ébats sont aussi féroces que leurs échanges mutiques. Poétiques. Les mots d’Annie s’organisent avec la couleur pour créer de la douceur. Les teintes fluorescentes ajoutent un romantisme qui a dû coûter cher à l’impression. Quoiqu’il en soit, c’est une petite parenthèse qui nous fait autant de bien qu’à Annie.