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    « Il Sol Dell’Avvenire », un écho lointain

    Il Sol Dell’Avvenire
    de Nanni Moretti
    Comédie dramatique
    Avec Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando
    Sortie le 28 juin 2023

    En 1976, Nanni Moretti réalisait son premier effort avec Je suis un autarcique, long-métrage expérimental foutraque tourné entre amis et en super 8. Il y filmait la fabrication d’une pièce de théâtre expérimental par une troupe d’excentriques, prétexte à poser un regard mordant sur le gauchisme d’alors. Au delà des qualités discutables du film, tout ce qui fit son style par la suite était déjà là : l’autofiction, le narcissisme, l’ironie et une grande acuité pour la réalité sociale qu’il dépeint. Présenté à Cannes en 2023, Il Sol Dell’Avvenire nous en parvient comme l’écho lointain, l’oeuvre d’un artiste entamant la dernière partie de sa carrière, et qui contemple avec mélancolie le chemin parcouru.

    En lieu et place du théâtre d’avant-garde, c’est de cinéma dont il sera ici question : en plein tournage, Giovanni, réalisateur de renom et alter-ego de Moretti, rencontre une crise de couple avec son épouse et productrice, et voit le financement de son film s’effondrer sous ses yeux. Ce séisme intime sera l’occasion pour le cinéaste de procéder à un état des lieux de ses valeurs, de ses relations et de son amour pour le septième art. Il faudrait interroger la tendance récente qui voit des réalisateurs vieillissants s’emparer frontalement du cinéma comme sujet, entre retour aux sources revigorant (Once Upon a Time… in Hollywood, The Fabelmans) et champ du cygne un brin boursoufflé (Babylon, Empire of Light). En empruntant la route salvatrice de l’auto-dérision, Nanni Moretti évite avec souplesse l’écueil du genre et se croque en boomer tordant, bien conscient de son côté réactionnaire. Son producteur dira d’ailleurs de son scénario, qui prend pour cadre l’arrivée d’un cirque exilé d’URSS dans une communauté communiste italienne en 1956, qu’il est « une métaphore du cinéma d’aujourd’hui, suspendu là-haut à son trapèze, sans savoir ce qu’il va devenir ». Désespéré par le désintérêt de ses acteurs pour la politique, consterné par sa fille qui s’apprête à épouser un ambassadeur de deux fois son âge, ce décalage comique d’avec son environnement culmine dans une scène hilarante de négociation avec Netflix, prêt à récupérer le financement du projet de Giovanni à condition qu’il rajoute à son script un moment « what the fuck »,  le laissant hébété.

    Mais sous le vernis séduisant de l’humour sommeille une inquiétude profonde, qui hante tout le film : la mort. Giovanni est vieux, il le sait, et répète à l’envie qu’il ne peut plus se contenter de tourner « un film tous les cinq ans ». Dans une scène longue et magnifique, qui glisse de la comédie à la mélancolie, le réalisateur interrompt l’enregistrement du dernier plan d’un autre film produit par sa compagne – une scène d’assassinat. En moraliste, Moretti ne peut supporter la vision d’un meurtre érigé en spectacle, et prend un malin plaisir à se dépeindre en vieil acariâtre capricieux et donneur de leçons. Mais, finalement, il devra bien reconnaitre que le cinéma – et le monde – avancent sans lui, et s’éloignera du plateau sans se retourner, pendant que la caméra captera enfin la mise à mort. Inquiétude qui est aussi l’horizon du film de Giovanni, qui s’achève par le suicide de son personnage principal, et fait écho à son propre désir d’en finir.

    Paradoxalement, c’est en auscultant avec ce mélange de légèreté et d’entêtement la vanité de son être que Nanni Moretti réaffirme la vitalité de son cinéma. Cette force de vie donne lieu aux plus beaux moments d’Il Sol Dell’Avvenire, véritables envolées lyriques baignées de musique et de danse, témoignant un lâcher prise total du cinéaste. Ce bouillonnement joyeux s’achève en un final proprement bouleversant, dans lequel Moretti convoque les fantômes de ses films passés, et dont on ne dira pas un mot de plus pour n’en rien gâcher.

    Arthur Bouet
    Arthur Bouet
    Journaliste

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