House of Cards
de Beau Willimon
Drame, Thriller
Avec Kevin Spacey, Robin Wright, Kate Mara, Michael Kelly, Corey Stoll
Saison 1 sortie en DVD/Blu-Ray le 23 juillet 2014
Saison 2 sortie en DVD/Blu-Ray le 6 août 2014
© 2013 MRC II Distribution Company L.P. All Rights Reserved
Dans le monde des séries, pour se distinguer, il y a plusieurs méthodes. Scénario racoleur, stars à l’affiche, budgets démesurés, recettes efficaces… D’autres jouent sur un scénario suffisamment malin pour attirer les spectateurs, et, si le talent d’écriture suit, ne plus les lâcher jusqu’à la fin (Breaking Bad). D’autres encore choisissent de tracer leurs routes avec très peu de compromis, tel David Simon (The Wire, Treme), et se forger un public de fidèles, conscient de regarder un programme de qualité et de participer à l’élévation de la qualité de l’offre télévisuelle. Ni de niche, ni de masse une série comme The Wire aura convaincu bon nombre de réfractaires aux séries TV en leurs faisant – tardivement- prendre conscience que oui, « un autre monde [des séries] est possible », et de fait, existe.
La série sort de l’ordinaire en partie grâce à son background sociologique, ce qui l’amène à être analysée dans certaines universités (1). De fait, son statut de référent culturel est désormais acté et les citations sont innombrables. Même Barack Obama sera interrogé sur son personnage préféré de la série (pour les curieux, il s’agit Omar Little (2)). Des philosophes se penchent également sur la série, tels Grégoire Chamayou (dans l’ouvrage collectif théorique The Wire – Reconstitution collective) ou encore Frédéric Lordon (économiste-philosophe), glissant une référence à Stringer Bell, malfrat passé de la rue à la science économique, soulignant au passage l’évolution du gangster depuis Mesrine, dans un chapitre sur l’imaginaire néolibéral (3). Ce petit hiatus ne sera pas sans intérêt pour la suite, tant House of cards, tout en se différenciant radicalement de The Wire sur toute une série de points, est une série qui donne à réfléchir et se présente comme un objet culturel allant au-delà de son propre cadre télévisuel.
House of cards arrive donc à une période où le paysage des séries tv est quasi-saturé, et où des séries de grande qualité disparaissent chaque année (pensons à Boss dans un registre proche de House of cards). En plus d’avoir une star hollywoodienne à l’affiche (Kevin Spacey) et un réalisateur reconnu aux manettes des deux premiers épisodes (David Fincher, également producteur), il fallait quelque chose qui sorte de l’ordinaire. En pleine bataille entre les networks et les chaines du câble, Netflix – entreprise américaine de streaming medias sur internet – lâche une bombe en annonçant qu’House of cards, au terme d’une campagne de promotion virale assez intense, sera disponible en intégralité (aux souscripteurs de Netflix). Effet immédiat dans la presse et sur les réseaux sociaux. Mais le modèle économique de Netflix, aussi agressif qu’en phase avec son époque, ne doit pas faire passer à l’arrière-plan la qualité intrinsèque de la série. En effet, c’est bien là que le tour de force est impressionnant, car la crainte que cette série survendue déçoive était grande.
Produit d’appel d’une entreprise voulant jouer dans la cour des grands, le coup marketing n’était pas loin. Avec la sortie DVD des deux saisons, nous avons l’occasion de replonger dedans et confirmer que cette série fera date. Et de se dire que son mode d’existence est presque en harmonie avec le fond de la série. Et cela fait presque sens : il aurait été curieux de vouloir peser sur le marché concurrentiel des diffuseurs avec une rom com niaise…
House of cards, créé par Beau Willimon, (mais la série s’inspire d’une mini-série anglaise de 1990) nous narre l’ascension, ou plus exactement, la volonté d’ascension politique d’un certain Francis Underwood (Kevin Spacey). Important membre de la chambre des représentants, il officie en tant que « Majority Whip », autrement dit, il fait régner l’ordre au sein de son parti et s’assure que tous les députés respectent les consignes de vote. Place stratégique et d’influence. (Faisons remarquer que la série est très américaine, et quelques subtilités peuvent facilement nous échapper. Passer quelques fois par wikipédia n’a rien de honteux, tout le monde n’est pas spécialiste en politique US).
En le suivant au plus près, House of cards nous plonge non seulement dans les arcanes du pouvoir, mais aussi – et peut-être surtout- dans le petit monde des Underwood’s. Il partage en effet cette soif de pouvoir avec sa femme Claire (fabuleuse Robin Wright), bâtissant son couple non sur un rapport d’exclusivité ou de fidélité, mais sur le respect. Relation quasi contractuelle, l’amour qu’il y a entre eux est une question passionnante pour qui regarde attentivement la série. Si Claire semble coacher Franck, elle n’en est pas moins autonome et active, gérant d’une main de fer son association humanitaire… tout en se montrant plus affectée par les situations interlopes dans lesquelles l’emmène son mari. Malgré son influence, Franck aspire à de plus hautes responsabilités. Confiant dans ses chances d’accéder au poste de secrétaire d’État, il doit rapidement déchanter. Le poste lui ayant échappé, il va affuter son jeu sur l’échiquier du pouvoir politique pour pouvoir laver cet affront. Sa déférence à l’égard du Président n’ayant plus qu’une consistance de façade, il va devoir mettre au point un plan.
Conscient que c’est dans la durée qu’il lui faudra se battre, le spectateur réalise que le Franck Underwood n’est pas seulement un monstre de cynisme, mais également un fin tacticien. La saison 1, outre la stratégie politique déployée lors d’une élection et la préparation d’un poulain, nous montre les liens étroits et incestueux que peut avoir la presse avec le pouvoir. Zoé Barnes, journalistes aux dents longues entame une relation ambigüe avec Franck, chacun se servant de l’autre pour accomplir ses propres objectifs. Par ce biais, la série nous décrit avec finesse l’intérieur des salles de rédactions et les complexes relations hiérarchiques qui s’y nouent. Dans la saison 2, Franck pratique la technique de la terre brûlée… ce qui l’endommage quelques fois aussi. Il lui faut donc pactiser, reculer de trois pas pour mieux sauter. La presse de la saison 1 est ainsi remplacée par les coulisses de la finance internationale, un influent proche du président sur lequel bute Franck étant dans ce milieu.
C’est bien le côté tactique qui nous empêche de décrocher du personnage de Franck Underwood : s’il est difficile de rester en phase avec un personnage aussi amoral que lui, son côté calculateur et stratège est un puissant facteur de fascination. Et lorsqu’on le voit détruire 12 000 emplois sans une once de considération, on se demande jusqu’où il ira. Et l’on n’est pas déçu, car il ira loin, très loin, pour satisfaire à son agenda politique.
Plus sur la politique proprement dite, la série est centrée sur la question du pouvoir. Ce que les uns font en son nom, ce qu’il détruit. Ce que l’on croit qu’il est : la puissance. Erreur que ne commentent pas les Underwoods, trop malin … Franck sait qu’il doit se rendre indispensable et légitime, devenir le seul recours lorsque la situation tourne mal. Il vise le long terme, et chaque vote acquis, chaque voix gagnée, chaque service lui permettent de gagner du terrain. L’étonnante maitrise de la série provient de cet équilibre toujours précaire, mais jamais rompu entre la froide mécanique tacticienne qui habite Underwood et les informations transmises aux spectateurs. Dans bien des cas, nous suivons Franck sans être certains de la finalité de ses actions. Et si l’on ne doute pas qu’il ait plusieurs coups d’avance sur tous ses « adversaires », les situations critiques ne manquent pas et c’est un plaisir presque sadique que de voir Franck Underwood le manipulateur se prendre les pieds dans des situations dont on se demande bien souvent comment il se départira.
Mais House of cards offre un spectacle plus large qu’un simple tour de manèges dans les couloirs des bureaux de Washington. La série serait irrespirable. Elle brasse donc un tableau très large des relations de pouvoirs et de soumissions. De l’influence des lobbys aux relations amoureuses, du statut d’employé maltraité au pouvoir de la fiance, de l’addiction à la drogue à l’addiction au pouvoir, la série est ambitieuse et offre un panorama très sombre de l’époque.
Pourtant, en creusant un peu, nous pouvons trouver des sources de joie. Le cas de ce hacker apparaissant dans la saison 2 est un bon exemple pour évoquer le côté plus léger de la série sans spoiler. Faisant échos aux écoutes de la CSA, il aurait pu devenir un personnage encombrant, une histoire annexe opportuniste, qui rajoute un élément de paranoïa inutile. Très intelligemment, les scénaristes désamorcent nos craintes en dégonflant le propos. En donnant un contenu beaucoup plus terre à terre, ayant trait aux relations interpersonnelles, la série donne à cette affaire une issue déceptive d’une sensibilité étonnante. Et ce n’est qu’un exemple parmi des dizaines d’autres et le cas de ce hacker est au final assez anecdotique.
Cependant, il permet de décrire parle la série en fin de compte : comment trouver sa place dans un monde particulièrement cruel sans totalement perdre son humanité (pour les personnages qui en ont encore une). Chacun réagira à sa manière, créant des situations pouvant mettre en péril l’action de Franck Underwood, dont le comportement devient – au fur et à mesure des épisodes (et particulièrement dans la saison 2) – des plus psychopathologique.
Néanmoins, la série, dans toute son intelligence, n’a pas créé un monstre froid deus ex machina. Un épisode, dans la saison 1, offre au spectateur une plongée nostalgique dans le passé de Franck Underwood. Plus malin qu’un flashback, les créateurs de la série ont placé Franck une situation où il doit inaugurer une bibliothèque à son nom dans son ancien lycée. Véritable parenthèse dans un récit qui file à toute allure, cet épisode – peut-être le plus beau de la saison 1 – évoque, par les souvenirs qu’il partage avec ses anciens camarades et nous amènent à comprendre que son ascension politique l’a peu à peu détruit humainement.
Si elle ne possède pas la puissance descriptive de The Wire, House of Cards réussit avec le même talent sur un autre domaine : celui du mythe. Et si la comparaison est osée, prendre House of cards comme le Parrain (Coppola) des années 2010 n’est pas sans fondement, tant nous retrouvons une même force narrative dans la réactualisation des éternels phénomènes de dominations et de rapports de forces. Un récit mythologique donc, qui amplifie voire sublime les avanies du monde contemporain. C’est pourquoi parler de Machiavel ou de Shakespeare est à la fois pertinent et peu fertile. Pertinent, car on ne peut nier que l’on y trouve des influences évidentes, mais surtout peu fertiles, car ces incessantes comparaisons laissent peu de place à une réflexion approfondie sur le contenu du programme. Certes, certaines mécaniques scénaristiques semblent immuables, mais soyons prudent avec les analogies, elles peuvent être encombrantes. The Wire nous disait : nous pouvons encore être profonds ; House of cards nous dit ceci : nous pouvons encore écrire des mythes ! (ce qui est une autre façon d’être profond).
La superbe photo (pour qui aime le glacis de Fincher), le sens du découpage, les effets malins bien dosés donne à la série une identité visuelle forte. Comme lorsque Kevin Spacey/Franck Underwood apostrophe le spectateur avec un « face caméra », nous décrivant la scène, son état d’esprit, ses pensées sur un personnage ou une situation. Quelques fois réduit à un simple regard évocateur, ces astuces de mise en scène et de narration sont utilisées avec parcimonie sur la longueur, tout en étant un élément singulier de la série, et ajoute de la connivence avec un personnage qui, malgré sa gouaille et son humour (acide), aurait eu du mal à embarquer le spectateur dans ses aventures. Souvent drôles et décalées, ces interventions permettent à Kevin Spacey de se surpasser et amènent la série encore un peu plus au-dessus de la concurrence.
(1) http://enserie.hypotheses.org/la-serie/the-wire
(2) http://mister-president.blogspot.be/2008/04/wire-la-srie-prfre-dobama.html
(3) Frédéric Lordon, La société des affects. Pour un structuralisme des passions. L’ordre philosophique. Seuil, 2013. P.246-247.