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    Hikidashi : Uiko Watanabe à la recherche du père dans les tiroirs de la mémoire

    Un meuble à tiroirs trône au milieu de la scène. Uiko Watanabe s’avance et ouvre un des tiroirs. Une voix off : « J’ai plusieurs tiroirs à moi. Et aujourd’hui, je vais ouvrir celui qui contient l’histoire de mon père… que je n’ai pas ouvert depuis longtemps. »

    Une bande de lumière trace une diagonale sur le plateau. Un homme y pousse une raclette emballée dans une serpillière. « Mais qu’est-ce que tu fais mon petit saumon, pourquoi tu remontes le courant toute seule ? C’est trop difficile, tu es trop fragile pour ce voyage. » Elle l’interpelle : « Otousan (papa, en japonais), pourquoi vit-on ? C’est comme si je cherchais quelque chose tout le temps… »

    Au Japon, lorsque un couple divorce, la loi prévoit que les enfants ne peuvent vivre qu’avec un des deux parents. La relation avec l’autre est donc réduite à néant. C’est ce qui est arrivé à Uiko Watanabe. Enfant unique, il a été décidé (on ne lui a pas demandé son avis) qu’elle suivrait sa mère. Elle avait quatorze ans la dernière fois qu’elle a vu son père. « J’en aurais crevé », dit-elle. Depuis, pendant vingt-cinq ans, il n’a jamais appelé. Les contacts se sont limités à quelques lettres paternelles, très centrées sur lui-même.

    Elle monte sur les épaules de son père (Lode Thiery), un sourire béat, naïf, illumine son visage. Elle le bombarde de questions : « est-ce que je serai heureuse en Belgique, est-ce que quelqu’un m’aimera ? » Autant d’interrogations auxquelles la fille aurait souhaité recevoir une réponse de son père. Mais il démissionne, il n’a pas le temps de s’occuper de ce petit animal complexe. Ce qui efface tout sourire sur le visage de la fille.

    Le père, 72 ans, est artiste peintre, féru de Matisse et d’un tableau en particulier, La Danse dont il apprécie la perspective déformée. Il est également maître de kendo mais travaille dans un hôtel la nuit. Il fait le ménage pour gagner de l’argent.

    Après Oshiire (2015) où elle évoque une relation quasi fusionnelle avec sa mère, Uiko Watanabe crée Hikidashi qui exprime une relation fantasmée, voire simplement le désir d’une relation, avec son père. Les deux concepts sont opposés. Oshiire désigne le placard dans lequel on range les futons mais signifie également « pousser » et « mettre ». Hikidashi veut dire tiroir mais signifie aussi « tirer » et « sortir ». Métaphoriquement, le japonais renvoie également à un endroit intime. Dire de quelqu’un qu’il a beaucoup de tiroirs signifie qu’il a beaucoup de ressources, de connaissances, de capacités. Chacun a son propre tiroir.

    Après la séparation de ses parents, Uiko Watanabe est partie, en Europe, faire sa vie tandis que son père restait figé dans le passé, à l’état de souvenirs. C’est tout ce qu’il lui en reste, des souvenirs. N’ayant jamais reçu ce qu’elle attendait de son père, ce qu’il était le seul à pouvoir lui donner, elle reste dans l’attente, permanente. Ce qui la fait douter de sa capacité à avoir une relation normale, avec les gens.

    Avec le corps, les mots et la musique (violoncelle, chant et installation sonore produits physiquement sur scène par Sarah Wéry), la chorégraphe, danseuse et metteuse en scène se livre sans détour sur son vécu face à l’absence du père. Alternant souvenirs, réels ou fantasmés, et introspection, interrogations, elle semble construire une vie qui lui a échappée, pleine d’images, de sensations, d’émotions différentes, mais toujours fortes.

    Avant un final aux allures de happy end, elle donne la pleine mesure de son talent de danseuse dans une séquence de danse classique (sa formation initiale débutée lorsqu’elle avait 4 ans) avant de s’abandonner dans une prestation inspirée du butô (qu’elle définit comme « la limite entre la mort et la vie »). Au-delà de la beauté de la gestuelle et des mouvements avec lesquels elle emplit littéralement l’espace scénique, elle révèle, avec une intensité désarmante, le sens profond et intime de cette œuvre qui prend fin. Magistral !

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