C’est dans le cadre du Photo Brussels Festival que la liberté d’expression est mise en avant au Hangar grâce à des palettes photographiques diversifiées : au premier étage de la photographie historique, au deuxième et au troisième des clichés contemporains.
L’endurance créative de 1970 à nos jours
Il y a deux ans, en 2022, l’Ukraine faisait la Une de la presse, de pays discret il passe à sujet super médiatisée. D’autres conflits tout aussi cruels et absurdes prennent à présent le dessus sur la scène médiatique, pourtant la situation s’est ankylosée de Kiev à Moscou et la crise est au point mort.
Documenter , transmettre, sublimer par le biais artistique devient donc essentiel, encore plus aujourd’hui, comme le précise justement Lisa Bukreyeva. La censure est contournée par l’école de photographie de Kharkiv dès les années 1970 et se libère du dogme soviétique ; en mettant en parallèle histoire et époque contemporaine les frontières entre passé et présent deviennent poreuses et créent une unité culturelle poignante.
Combat des corps
Les corps tiennent une place importante tout au long de l’exposition, ils se baignent dans des sources d’eau, se dotent de couleurs vibrantes et exposent leurs mutilations sur des sérigraphies. Le fait de le présenter sous toutes ses formes rappelle que le portrait est le meilleur outil pour réveiller les affects humains, l’empathie et l’attention du public quelle que soit sa culture d’origine. La chair ainsi exposée rappelle la vulnérabilité de l’enveloppe humaine et son pouvoir. Les regards sont durs, mais à l’affût, ils guettent chaque détail – horrifique ou poétique – pour exprimer au mieux les maux et les atouts d’une Ukraine résiliante. L’épreuve de force que subissent soldats et civils est tangible, ces corps invisibilisés par la masse sous la bannière de victime sont ici nuancés par le regard des vingt-deux photographes. Les états émotionnels intenses sont sublimés.
Symboliques des espaces
La série Bilateral Rooms de Mykhaylo Palinchak – ancien photographe officiel du président – explore avec une certaine ironie l’architecture de hautes institutions politiques où des décisions primordiales pour l’humanité sont prises. Il y efface toute trace d’humanité et joue avec des gammes chromatiques froides et opaques. Dans Illuminated du même artiste on peut observer des salles en décombres, vides et sinistres ces espaces ont vu perpétuer des actes de torture en leur sein. Le désordre du mobilier, la déchirure des pans de murs font raisonner la souffrance passée qui les hante. Les infrastructures reflètent les affres des habitants, le danger y est omniprésent, imminent si bien qu’il en est presque ordinaire. Les lieux sont chargés d’une présence obscure : le médium photographique permet d’immortaliser ces zones dans leur stade de décomposition ultime.
Transcender la violence par l’imaginaire
Les perturbations et le chaos ambiant sont régénérés par la créativité des artistes-photographes. Leur acuité et leur sensibilité n’instruisent pas à charge, elle dépeint un monde complexe où différentes forces convergent. Olia Koval choisit le motif du papillon – et son fameux battement d’aile – pour créer des portraits hybrides. Une combinaison d’art graphique et de diapositives qui nous amène dans un univers parallèle où les visages sont présentés sous une forme volontairement ambiguë.
Bestiaries Series de Sergiy Solonsky décompose l’anatomie humaine et nous donne à voir une fable à la fois onirique et macabre. Ici, l’art et sa fonction narrative sont mis en valeur, plus que l’information visuelle sous-jacente. Elena Subach joue de l’absurdité et de la gamme chromatique pour créer des clichés loufoques, un brin surréalistes. I’m not militant in my nature, but I can cook bread, I’m a sensitive person, and I become hysterical : les témoignages du dernier étage donnent une voix aux tensions accumulées. Cette prise de position intimiste efface la froideur objective pour faire parler les images. Le cadre s’illumine d’un récit et nous rapproche de de ces civils sans forcément user du pathos. L’urgence du sensible transparaît et la transgression devient une arme militante.
Banalisée dans certains médias, la guerre devient un enchaînement logique à certaines situations sclérosées. Présenter plusieurs générations d’artistes-activistes freine l ‘érosion du passé culturel riche de l’Ukraine et lutte contre les discours caricaturaux.
Figures éminentes ou historiques de la photographie, ces regards engagés captent un pays animé d’un sentiment de sédition. L’image de Daria Svertilova est un emblème puissante et représentative du glissement progressif qui s’opère : une femme aux cheveux courts, anciennement employés dans le milieu culturel est désormais sur le front. La révolution visuelle qui ressort de l’ensemble des séries de chacun des photographes permet de faire un effort de réflexion loin du manichéisme ambiant.
- Où ? Hangar, 18 Place du Châtelain,. 1050 Brussels
- Combien ? 9 € tarifs réduits possible
- Quand ? du 26 janvier 2024 au 23 mars 2024