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    Gudule, du primaire à l’extraordinaire : Interview avec Virginie Strub

    Tout chamboulés à la sortie de la représentation d’En attendant Gudule, nous avons couru derrière sa metteur en scène, Virginie Strub, pour lui voler quelques minutes et lui poser quelques questions qui nous taraudaient à propos de sa pièce. Petite interview à chaud de celle qui a réinventé, l’espace de deux heures, le langage de la scène.

    Ca fait longtemps que vous travaillez sur le langage, ce qu’il apporte et ce qui se passe quand on le retire ?
    Ca fait trois ans que je travaille sur le silence à proprement parler mais ça fait beaucoup plus longtemps que je m’intéresse au langage. Je travaille dessus depuis une dizaine d’années. J’ai toujours travaillé le langage en tant que forme et en tant que fond, c’est à dire la question du langage humain où les mots en eux-mêmes ne sont pas ce qu’ils disent. Les mots sont une construction codée, intellectuelle. Ce n’est pas le contenu qui raconte les choses mais c’est beaucoup plus le contenant. Par exemple, le précédent spectacle, Les Poissons rouges, était un spectacle sonore mais qui utilisait déjà le langage d’une manière particulière : les comédiens auraient pu tout aussi bien lire l’annuaire que leur texte, c’était pareil. On avait travaillé le son du dire et comment la forme du dire prend le pas sur ce qui est dit en substance. Ici on a poussé la chose jusqu’au bout, jusqu’à enlever le son. C’est une technique très complexe et très longue à mettre au point car elle révèle tout ce qu’il y a en dessous et qu’on ne perçoit pas sciemment en temps normal. D’autre part, la notion d’Attente est liée à la notion de « non-dit » soit parce que l’Attente ne se dit pas, soit parce qu’on ne sait pas comment la formuler, soit parce que ce sont des choses qu’on tait. J’ai aussi souhaité inscrire la pièce dans la dimension de travail en creux. J’ai voulu ne donner qu’une partie des choses pour amener une stimulation du spectateur et le laisser lui-même projeter son univers à l’intérieur des personnages, ses fantasmes, ses angoisses, son vécu, c’est à dire emprunter une partie de son histoire, plonger à l’intérieur de ce qu’il voit et y mettre une part de lui-même.

    Il y a une volonté, en plus de déconstruire le langage humain, de déconstruire un langage théâtral et nos attentes au niveau de la narration classique qu’on retrouve dans l’aspect cyclique d’En attendant Gudule. En échappant au texte vocalisé, on arrive au coeur même des personnages par des traits de plus en plus gros. Qu’avez-vous voulu dire par rapport au théâtre et à l’Homme ?
    Moi ce qui m’intéresse, c’est un peu de faire un documentaire animalier, ou un travail d’anthropologie avec mon langage, qui est un langage poétique. C’est à dire que ce qui m’intéresse c’est l’Humain, ce sont les dénominateurs communs, aller toucher aux passions et pulsions humaines à l’état brut. Gommer la notion de personnage me permet d’aller en amont, de travailler sur des dynamiques, des comportements et ce genre de choses. Ca crée aussi un langage particulier parce que je romps avec une notion de temps précis, de lieu précis, de personnage précis. On enlève toutes les notions de psychologie, toutes ces choses qui mettent à distance et qui créeraient une histoire ou des histoires qui appartiennent à d’autres. Et là ce qui m’intéresse de travailler c’est la nature humaine en tant que telle en me situant toujours en amont pour arriver à l’aval.

    Il y a une volonté de toucher à une tradition du Théâtre de l’Absurde avec l’évocation de Beckett dans le titre. Quelles ont été les sources qui ont nourri votre travail ?
    Beckett n’a pas été forcément une nourriture en soi. Je me suis dit en écrivant le spectacle que j’étais en train de faire mon propre Godot et donc ça a été plus un clin d’oeil de l’appeler Gudule. Il n’y a pas vraiment quelque chose que j’ai tiré de Beckett en soi. La référence m’a fait rire et c’est devenu mon Gudule. On est dans une théâtralité de l’Absurde, dans un humour noir, dans un décalage. Je crois qu’on arrive beaucoup plus à toucher à quelque chose de juste quand on passe par un ressenti que quand on passe par l’intellect. C’est souvent en décalant les choses, comme le langage, qu’on arrive à toucher à ça, plus que si on est dans quelque chose de plus explicatif, de plus narratif qui fait qu’on maintient une certaine distance.

    Retrouvez ici la critique d’En attendant Gudule.

    Mathieu Pereira
    Mathieu Pereira
    Journaliste

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