Tout juste vingt ans après la première édition du Graspop, qui comptait déjà Iron Maiden et Slayer parmi ses têtes d’affiche, l’immense plaine de Dessel, avec ses quatre scènes principales (Main Stage 1 et 2, Marquee, Metal Dome), son Classic Rock Café ainsi que sa Metal Plaza, bordée de sa grand roue et de son Foodtruck Fest, s’apprête à accueillir comme chaque année environ 150.000 festivaliers.
Alors qu’on imaginait parfaitement les voir évoluer vers 21h ou 22h, comme lors de leurs derniers passages au Graspop, c’est pourtant dès 15h45 que les vétérans New Wave Of British Heavy Metal de Saxon ont pris d’assaut la Main Stage 2. Avec 40 ans de carrière l’année prochaine, et 9 passages à Dessel en 20 ans, le mot « vétéran » a rarement pris autant de sens. Pourtant, à entendre Battering Ram, morceau titre de leur dernier album (2015) choisi pour ouvrir le set, le groupe ne montre aucun signe de ramollissement. Le parallèle avec les remuants classiques du début des années 80 que sont Power and the Glory et 20,000 Ft, que l’on entendra quelques minutes plus tard, témoigne une constance indéniable. Des groupes de cet âge respectable pourraient se contenter d’interpréter les classiques issus de leurs deux ou trois gros albums. Ici, le groupe décide de voyager dans son répertoire, en choisissant des extraits d’albums « moins phares » tels que Dogs of War (1995), Into the Labyrinth (2009) ou encore Sacrifice (2013). Une démarche éminemment respectable qui vaut pour la première moitié du show.
Arrivé à ce point, le chanteur Biff Byford, frôlant certainement l’hypoglycémie à l’approche de l’entracte, se met à bouffer la feuille de papier qui servait de setlist. But de la manœuvre ? Se libérer de ses chaînes pour ensuite demander au public ce qu’il a « réellement » envie d’entendre. Effet garanti ! Les classiques Wheels of Steel (1980), Crusader (1984), Denim and Leather et Princess of the Night (1981) s’enchaînent alors jusqu’à plus soif devant une foule conquise.
Place ensuite aux Thrashers d’Anthrax, dernier représentant du Big Four à Dessel, emmenés par leur emblématique guitariste Scott Ian. Au programme : le dernier For All Kings, bien sûr, sorti en février et bien porté tant par un rageux Evil Twin que par un Breathing Lightning tout en retenue pour un groupe de cette mouvance. Le reste du concert reste des plus familier avec Caught in a Mosh et Indians, qui clôt le set, tous deux issus du mythique Among the Living (1987). Pas d’I Am the Law donc, dommage, laissé de côté au profit de leurs désormais traditionnelles reprises Got the Time de Joe Jackson, suivie plus tard par Antisocial de Trust. On ne peut pas tout caser dans un set d’à peine 50 minutes, c’est évident. Mais après tout, entendre un classique du hard rock hexagonal sorti en 1980, repris par des Thrashers new-yorkais, sur une scène belge en 2016, ça vaudra toujours le détour pour un Belge francophone.
Plus ou moins au même moment, mais avec une heureuse demi-heure de décalage évitant de devoir faire un choix définitif et facilitant les allers-retours, les Bruxellois de La Muerte prenaient possession du Metal Dome. Que les choses soient claires : ceux qui utilisent les termes « rock alternatif » ou simplement « heavy metal » pour les définir n’ont rien compris à l’Histoire. Même le côté « métal alternatif », qui peut renvoyer à des groupes aussi variés que Jane’s Addiction, Nine Inch Nails, Rage Against The Machine ou System of a Down, paraît discutable une fois dépourvu de l’approche underground que tous ces groupes ont eu à leurs débuts. Alors ok pour l’influence bruitiste du Velvet, ok pour la touche Stooges sur un morceau comme Shoot in Your Back, mais on s’arrête là !
Car musicalement, si on enlève les blast beats et les changements de tempi de fous furieux, on est finalement plus proches d’un death metal type Possessed que de toute autre chose. Disto au max, musique monolithique, purement bruitiste et rythmique, dépourvue de mélodie ou de structure apparente. Le tout accompagné des cris et des grognements de Marc du Marais qui rendent les paroles en live tout simplement incompréhensibles (alors qu’elles le restent sur les versions studio). La faute en partie à la sono qui crache un volume de malade en ce dernier jour, à vous faire littéralement couler le sang des oreilles. Demande du groupe ou simple lubie de l’ingé son ? Le résultat est qu’un Metal Dome bien rempli à l’origine s’est carrément vidé de moitié en moins d’une heure, certains en sortant visiblement éprouvés. Dommage.
Arrive bientôt l’heure de la dernière prestation sur la Main Stage 1, et c’est aux légendaires Iron Maiden qu’est réservé ce privilège. Un huitième passage en 20 ans ne surprendra plus les habitués mais aura toujours le don d’émerveiller les néophytes. D’abord, la mise en scène recréant des ruines Incas perdues au beau milieu de la jungle est parfaitement admirable vue d’aussi près. Ensuite, le groupe armé de ses trois guitaristes entame le concert comme il a entamé Book of Souls (2015), avec If Eternity Should Fail et Speed of Light dans l’ordre. C’est le moment que choisit Bruce Dickinson pour expliquer au public présent qu’il préfère parler « d’héritage » (« legacy » en V.O.) plutôt que « de vieilles chansons », au nom de la « non-discrimination ». N’hésitant pas au passage, sourire en coin, à faire ouvertement le lien avec l’âge du public, qu’il préférera ne pas qualifier de « vieux » mais de « legacy », lui aussi !
Résonnent alors les premières notes de l’épique Children of the Damned, climax indiscutable, qui arrive pourtant très tôt avec cette troisième position. Tears of a Clown, qui suit, est dédié à la mémoire de l’acteur Robin Williams, avant que le The Red and the Black de Steve Harris ne nous emporte pendant plus de 13 minutes et ce, dès son intro à la basse jouée comme s’il avait une guitare de flamenco entre les mains. Bruce Dickinson s’est changé entre-temps pour revenir avec sa veste militaire écarlate et un Union Jack géant à la main qu’il agitera frénétiquement. Vous l’aurez compris, le moment est venu d’entonner le classique The Trooper.
Dickinson nous revient ensuite masqué pour interpréter le morceau titre de Book of Souls, sa jolie intro acoustique rapidement suivie au bout d’une minute d’un gros riff dévastateur. La voix de Dickinson n’est peut-être plus aussi parfaite, et il a parfois du mal à tenir la longueur dans les aigus, certes, mais cela reste du haut niveau Vu son âge (57 ans) et vu surtout sa débauche d’énergie puisque ce petit homme court et saute d’un bout à l’autre des ruines en permanence. Ajoutez à cela son charisme et son humour lors des échanges réguliers qu’il a avec le public, vous avez devant vous un showman-né qui mouille véritablement le maillot. Preuves ultimes, la saynète qui s’ensuit lorsque la mascotte Eddie débarque sur scène, lançant des doigts d’honneur au public et tentant de tuer les musicos les uns après les autres. Qui d’autre que Super Bruce pour en venir à bout ? Dickinson lutte et fait finalement de mine de lui arracher un cœur qu’il balance ensuite dans une foule rieuse !
Et puis Hallowed Be Thy Name, très chaudement accueillie, au cours de laquelle Dickinson arrive une corde sur l’épaule avant de se la passer autour du cou. Tiré du même album, l’incontournable The Number of the Beast met ensuite le feu aux poudres en guise de premier rappel. Dickinson nous l’assure, c’est leur « Best Graspop Ever ». L’impression semble déjà largement partagée autour de moi, avant qu’un vibrant Blood Brothers dédié aux victimes des attentats de Paris, Bruxelles et Orlando ne vienne donner un supplément d’âme à une prestation étincelante, pourtant déjà loin d’en manquer.
Le cœur en fête, il nous reste 10 petites minutes pour souffler avant de conclure avec le tout dernier concert de ce Graspop, sur la Main Stage 2, avec Twisted Sister. Emmené lui aussi par un showman charismatique, Dee Snider, le groupe autrefois étiqueté glam metal peut en plus compter sur les services d’un batteur hors norme, le légendaire Mike Portnoy, venu succéder à A.J. Pero (mort d’une crise cardiaque en mars 2015). Tout cela vaut d’autant plus le détour que c’est officiellement la dernière de Twisted Sister au Graspop. « Ce n’est pas une tournée d’adieu des Scorpions, ce n’est pas une tournée d’adieu de Judas Priest, ce truc est vrai, c’est pour nos 40 ans ! », commentera Snider dès les premières minutes. On passe donc logiquement en mode « héritage » pour paraphraser Bruce Dickinson, avec leurs trois premiers albums (1982-1984) qui constituent la quasi-totalité du setlist.
Destroyer, Like a Knife in the Back, You Can’t Stop Rock’n’Roll s’enchaînent à la perfection avant qu’un The Fire Still Burns, à peine plus jeune (1985) ne soit dédié aux fans. « Nous sommes un groupe américain qui a trouvé son foyer en Europe », précisera Snider. Leur hymne I Wanna Rock n’ajoute alors qu’un peu plus de fête à la fête tant le public est chaud et encore très présent malgré l’heure. The Price, dédié à la mémoire de Pero, nous apprendra que c’est ce dernier qui a personnellement souhaité que Portnoy le remplace si jamais quelque chose lui arrivait. Difficile de trouver meilleur remplaçant, en effet ! Les institutions que sont Ronnie James Dio et Lemmy ont également été mises à l’honneur, scène plongée dans le noir, briquets et smartphones se chargeant à eux seuls de l’éclairage. Sur I Believe in Rock’n’Roll, Snider dira quant à la prestation du public : « You’re good. You’re Download good. But You’re not English ! You’re fucking Belgian motherfuckers ! », ce qui entraînera rires, cris et applaudissements.
La fin est des plus épiques : leur autre hymne We’re Not Gonna Take It déchaîne la foule en étant repris trois fois de suite en entier, et à sa demande puisqu’elle chante le refrain à tue-tête même lorsque le groupe a fini le morceau ; avant la reprise de It’s Only Rock’n’Roll (But I Like It), dont le titre est qualifié de « Rolling Stones bullshit » par Snider lui-même et ensuite corrigé en « It ‘s Only Rock’n’Roll (But I LOVE It) », chantée en sautant le poing en l’air ; et S.M.F. en guise d’adieu car l’heure fatidique a sonné au milieu des geysers d’étincelles et de flammes.
Le traditionnel feu d’artifices signe la fin d’un festival riche en sensations, bonnes, très bonnes et parfois moins bonnes aussi. Une fois encore, avec l’aide de la programmation en plus mais pas nécessairement, le dernier jour d’un festival est véritablement celui dont on profite le plus. Luttant contre la fatigue et la pluie (heureuse absente du jour), se réconfortant avec du solide et encore plus de liquide, on arrive au bout du périple, les deux pieds dans la boue, et on est fier. A peine rassasiés, on ne pense pourtant déjà qu’à recommencer. Mais pour cela, il faudra encore attendre une belle et longue année.