Titre : Gonzalo et les autres
Autrice : Bénédicte Belpois
Editions : Folio
Date de parution : 13 juin 2024
Genre : Roman
Gonzalo a fui le franquisme et l’engagement dans l’armée. Direction : l’Allemagne ou, en tout cas, un lieu accueillant. Après une courte vie de chanteur de flamenco avec deux compatriotes et son entrée forcée dans la légion étrangère française, Gonzalo fait sa vie, rencontre une femme, Fanfan, avec qui il n’arrive pas à avoir d’enfants, n’est pas heureux. Un jour, il décide de tout quitter pour revenir vers les siens, ceux et celles qu’il a abandonnées, à Estrémadure. Il est l’heure pour lui de rentrer à la maison.
Le titre du livre, « Gonzalo et les autres », frappe par sa justesse quand on arrive à la fin du roman. Il ne s’agit en-effet pas que de Gonzalo, malgré ce résumé qui est un peu mensonger. Autour de lui, gravite une série de personnages à la vie parfois cabossée : son père Máxi et son amant/meilleur ami Poco, la Tía Caya, la tante de Gonzalo donc, son ancienne nounou Blanca, son meilleur ami Enzo et beaucoup d’autres encore. Ce ne sont pas des personnages secondaires. Chacun.e aura droit à son chapitre, à sa voix, son monologue pour se raconter à Gonzalo, devenu l’oreille réconfortante.
Bénédicte Belpois construit son roman de courts chapitres où tous ces gens vont déployer leur vie. Si la fiction ne se construit pas sur le bonheur, il est vrai qu’il n’est peut-être pas commun de rencontrer des humains qui se disent heureux et heureuses en ce moment, l’autrice décrit néanmoins uniquement ici des vies marquées par les violences sexuelles, la méconnaissance de son corps et du corps de l’autre et le manque affectif, sans jamais virer dans le glauque cependant : ils et elles semblent avoir facile à trouver du travail, après le franquisme, mais la chair semble plutôt triste, l’amour aussi, après un éventuel et illusoire début de relation marquée d’une parenthèse dorée.
Ces personnages fuient, doivent fuir pour éviter la mort, le meurtre, la drogue, sans laisser de traces. L’amour ne dure pas, ce n’est pas une grande découverte, mais il est parfois contrecarré si l’on désire un homme et qu’on est soi-même un homme, dans une société hétéro-normée. La relation à l’autre doit se reconstruire, à Estrémadure, grande famille où les parents et frères et sœurs d’adoption sont là pour protéger Gonzalo et se défendre (contre les violeurs, en coupant leur sexe de « vieux pervers » au besoin). Si la sexualité est beaucoup évoquée, c’est sous un angle onirique « à la Márquez », parfois éloigné du concret des actes, même si cela n’est pas surprenant de lire que l’autrice, dont c’est le troisième roman, est aussi sage-femme, le corporel (intime) et l’exposition de soi ayant une place importante.
Cette évocation de destins et de vies fracassées ne se fait pas sous l’aune de la psychologie, du militantisme, de l’étude de caractères. Il n’y a pas de conversations ici, de dialogues. Bénédicte Belpois est douée comme narratrice d’histoires, racontées à la première personne, qui se suivent les unes après les autres, se ressemblent et se distinguent à la fois. Ces mille et une nuits de douleur ne sont pas dépressives, mais teintées d’une légère mélancolie tout de même. On peut regretter cependant que cette mosaïque de récits empêche de creuser plus profondément en chacun.e, et frôlent peut-être un peu « l’exercice de style », les personnages se racontant plus aux lecteurs et aux lectrices, de manière factice, qu’à Gonzalo finalement. Nous n’avons accès qu’à un morceau, évoqué en une dizaine de pages. La vie quotidienne et présente est peu illustrée, la temporalité des récits tournés vers le passé est parfois floue (la fin vient questionner aussi le nombre de mois/d’années écoulées depuis le retour de Gonzalo). La croyance en la fiction est forte mais il y a comme un goût de réel qui manque, dans ce village d’Estrémadure.