Titre : Ginseng Roots
Auteur : Craig Thompson
Éditions : Casterman
Date de parution : 4 septembre 2024
Genre : Roman graphique
Il faut vraiment s’appeler Craig Thompson et pouvoir surfer sur le succès de Habibi et Blankets pour convaincre Casterman de publier une bande dessinée de 400 pages sur une plante méconnue de la moitié des Occidentaux. Challenge accepté. Le nouvel opus du bédéiste s’intéresse au Ginseng, un panax réputé pour les propriétés médicinales de ses racines.
Le ginseng est une plante essentiellement asiatique mais étrangement, on en trouve des cultures au Canada et aux États-Unis, à tel point qu’elle devient même une spécialité du Wisconsin. Le renshen, littéralement homme-racine en chinois, est caricatural. Ses nombreuses ramifications lui font ressembler à un personnage tentaculaire. Dans la forme. Mais aussi sur le fond. Comme Craig Thompson le prouve, à force de détails, la plante se trouve au croisement de nombreux récits. D’abord, il y a la grande Histoire. L’histoire de la colonisation ou la course entre les nations de l’Occident pour profiter de l’exploitation des ressources naturelles, la découverte de la plante par le cartographe français Pierre Jartoux qui en consomme régulièrement et finalement son exportation qui rembourse en partie l’argent versé par les Français dans la guerre d’indépendance américaine. Et puis le ginseng est évidemment aussi au cœur de traditions chinoises et coréennes et instrumentalisé dans les comportements racistes. Mais il est aussi lié au Laos, à partir du moment où des peuples Hmong se retrouvent employés massivement dans les cultures américaines.
Le ginseng permet aussi à l’auteur américain, connu pour son récit autobiographique sur le fondamentalisme religieux, de revenir aux racines de son existence. Depuis tout jeune, il est employé dans ces champs qui tapissent l’État du Wisconsin. Une occasion pour lui d’aborder, à nouveau le climat familial austère et religieux dans lequel il a grandi. Cette nouvelle intrusion dans son passé lui permet d’envisager le sujet sous un angle différent. Il explique notamment l’absence de sa sœur dans la bande dessinée qui lui a valu son succès. Mais aussi comment le ginseng à susciter une vocation chez lui, en finançant sa collection de comics. Il évoque les foires agricoles de Marathon où la plante rhizomateuse est reine.
Et finalement, Ginseng Roots, c’est l’occasion d’aborder le ginseng dans tous ses états. Mais alors, vraiment tous. C’est un véritable florilège agricole. Ramassage des cailloux, broyage de la paille, installation des auvents, stratification, germination. On suit toutes les étapes de la culture du ginseng. Craig Thompson fourrage pour déterrer les informations les plus inédites – et il faut l’avouer, parfois, les moins palpitantes – possibles. Nous apprendrons que les racines bullet sont les plus rares et que les racines médiums à longues sont plus faciles à trancher. Craig Thompson c’est un peu ce thésard qui consacre une partie de son existence à l’étude d’un sujet qui n’intéresse que les spécialistes. Le chemin qui mène à la connaissance du ginseng est long, broussailleux, voire parfois impénétrable. Ceci dit, Craig Thompson prouve encore une fois son génie. Ses mises en page sont exceptionnelles. Il fait preuve d’une inventivité incroyable en utilisant l’ironie dans ses dessins et en mettant à profit la typographie et le sens de lecture de l’image. Chaque planche est originale ; aguicheuse et intrigante. Il nous y promène comme dans un champ. Il utilise les codes de la publicité ou encore ceux de la tapisserie, en plus de ceux de la bande dessinée évidemment pour créer une expérience visuelle unique que les fans du neuvième art ne pourront qu’apprécier.