Création de la Compagnie 3637, Sophie Linsmaux – Aurelio Mergola
Du 7 mars au 17 mars 2017 à 20h30 au Théâtre National
Les lumières s’allument sur le décor hyperréaliste d’une cantine d’entreprise : univers professionnels dont la dépersonnalisation et l’aseptisation sont poussées à l’extrême. Une femme, Martha, se tient entre les tables, droite dans ses talons et son tailleur, un plateau à la main, comme un élément du décor. Rapidement, elle est rejointe par son homologue masculin, Angus, tout aussi froid et désincarné dans son costume gris. Ils entament pour le repas un ballet mécanique de gestes, chacun à sa table, ensembles et seuls, dans un rythme presque robotique, jusqu’à la découverte aberrante de Martha : un cœur, vivant, battant, sanguinolent, caché derrière les Tupperware d’un des frigos. Cet organe, par son incongruité, va pousser les deux personnages à se révéler : Angus horrifié et Martha hypnotisée vont s’affronter dans un combat au corps à corps, l’un pour détruire, l’autre pour sauvegarder ce cœur, faisant voler en éclat la structure initiale du plateau. L’issue de cette explosion pulsionnelle les plonge dans un huis-clos où la seule survie possible passe par ce cœur. Gravement blessés par leur affrontement, ils n’ont pas d’autre choix que de se relier par des tuyaux à cet organe. Dans un troisième temps, s’installe l’attente et les tentatives pour échapper à ce décor devenu hostile, parachevant le dévoilement de l’humanité toute frêle de ces êtres perdus et esseulés.
A partir d’une trame narrative au rythme admirablement bien soutenu, les deux acteurs entreprennent de déconstruire l’idéal de nos sociétés contemporaines, productif et individualiste, en nous rappelant que notre humanité est avant tout incarnation de chair et de sang. L’allure dystopique que prend progressivement la pièce nous renvoie ainsi à l’illusion du contrôle que nous pensons pouvoir maintenir coûte que coûte alors même que la moindre anomalie pourrait enrayer ce système que nous croyons infaillible. L’organe ensanglanté, par sa force esthétique et symbolique, devient le fil rouge d’un retour aux fondamentaux qui semble inévitable. Autour et à partir de lui, l’homme et la femme évoluent, dans un jeu de contrastes et d’ambiguïtés qui donne au propos une vraie profondeur : entre rire et effroi, cris et tendresse, attachement et répulsion, peur et joie, le spectateur se retrouve confronter à tout ce qui, malgré lui, le rattache inéluctablement à ses semblables.