Ecrit par Jean Racine. Mise en scène de Cédric Dorier. Avec Cédric Cerbara, Stéphane Ledune, Julie Lenain, Romain Mathelart, Sylvie Perederejew, Hélène Theunissen, Laurent Tisseyre, Aurélien Vandenbeyvanghe. Du 8 novembre au 30 novembre 2018 au Théâtre des Martyrs.
C’est un véritable pari que tente le Théâtre des Martyrs : attirer les gens avec une adaptation de Racine, qui n’est pas connu pour être le plus accessible des dramaturges. C’est donc une version modernisée de La Thébaïde ou Frères ennemis, au niveau des décors et des costumes, que propose le metteur en scène Cédric Dorier.
La Thébaïde, c’est l’histoire des deux fils d’Oedipe, Eteocle et Polynice, qui, de la volonté de leur père, doivent partager le pouvoir tous les ans. Arrivé à la première échéance, Eteocle refuse de rendre le trône et Polynice assiège la ville. Créon, l’oncle, soutient Eteocle et nourrit des ambitions plus obscures. Ces deux fils (Hémon et Ménécée) ont chacun rallié un camp. Jocaste, leur mère et Antigone leur soeur tentent, elles, de résoudre le conflit dans la paix et font tout pour que les deux frères se rencontrent. Arriveront-ils à résoudre ce conflit inéluctable ? Assouviront-ils leurs ambitions ?
Ce qui frappe d’entrée est le décor d’une pièce unique, tout droit sorti d’un conflit moderne. Les murs transpirent la poussière, des bidons d’eau côtoient les plans de bataille et le mobilier luxueux. Les acteurs entrent sur scène vêtus de vêtements modernes mais la langue de Racine est bien présente. Et si on excepte deux trois ratages d’accessoires comme les tenues militaires américaines, le M16 en plastique ou les coussins berbères perdus au milieu du ravage, le décor réserve même une belle surprise de fin.
Mais la vraie puissance de cette pièce parfois un peu lassante (deux heures, sans entracte, de vers, il faut s’accrocher !), c’est le talent des comédiens – qui jouent excellemment autant avec les mots qu’avec les émotions – qui nous emporte finalement dans cette histoire tragique. On retiendra surtout la voix puissante de Julie Lenain, qui résonne encore dans la salle, et le jeu cruel de Stéphane Ledune.
Au final, Frères ennemis était un pari risqué. Malgré quelques lourdeurs et défauts visuels, le jeu intense des comédiens et la puissance des vers tragiques de Racine emporteront le public vers la tragédie inéluctable sans pour autant oublier de préserver, pour le spectateur ne connaissant pas sa mythologie sur le bout des doigts, un suspense oppressant quant à la résolution du conflit.