Textes de Nathalie Rozanes, Ariana Reines et Francesca Woodman, projet et jeu Nathalie Rozanes, crédit photo Thibaut Grégoire
Du 23 au 5 mars 2016 au Théâtre National
Les intrigantes photographies de Francesca Woodman, qui s’est donné la mort en 1981 à l’âge de 22 ans, sont habitées d’un romantisme tour à tour sombre et lumineux : dans ce curieux théâtre mêlant des influences surréalistes et de lointains échos victoriens, des formes pâles apparaissent dans la poussière de pièces laissées à l’abandon, des figures et des corps sont sur le point de surgir ou de s’évanouir, des draps flottent dans la lumière, et Francesca, sans cesse, se dévoile et se cache. Sa disparition tragique, l’étrangeté magnétique et poétique de son univers, sa grande précocité, ont fait de Francesca Woodman une référence, certes peu connue hors du monde de l’art mais très prisée en soin sein, icône confidentielle des écorchés vifs, des critiques féministes et des amateurs en mal d’artistes maudits.
Nathalie Rozanes, qui a découvert Woodman par hasard en 2014, n’a pas échappé à cette fascination. Dans Francesca, la comédienne explore la relation intime qu’elle a nouée avec la photographe et la manière dont cette rencontre bouleversante l’a emmené vers les voix d’autres artistes femmes, notamment celle de la brillante jeune poétesse américaine Ariana Raines. Ce spectacle évoque donc Francesca Woodman bien plus qu’il ne raconte son histoire et tourne autour d’elle pour explorer des questionnements soulevés par son œuvre : la recherche d’un langage artistique personnel, le désir de se connecter aux autres, les rapports complexes entre identité, corps et image de soi. A travers les poèmes déconcertants d’Ariana Reines, les extraits du journal de Woodman et ses propres interrogations sur le travail de comédien et la création du spectacle, Nathalie Rozanes met en scène une certaine intimité féminine et artistique, passant du langage à la fois brut et cérébral de Raines aux recherches de Woodman, décrites dans ses notes avec une passion et une spontanéité vivifiantes. Si on perçoit bien les affinités sensibles entre les trois jeunes femmes en quête de leur expression singulière, Woodman est finalement la moins présente dans cette divagation arty : on regrette que son univers et sa personnalité, comme la relation qu’entretient Rozanes avec elle, passent essentiellement par des procédés très illustratifs. Ainsi, des motifs tirés de son travail sont intégrés sur scène, quelques photos sont projetées ou remises en scène, Rozanes prenant la place de l’évanescente Francesca, sans que cela apporte grand-chose. Peut-être aurait-il fallu choisir : soit Francesca restait une figure insaisissable, nourrissant l’imaginaire sans qu’on ait besoin de ses images, soit on se jetait dans le dialogue avec elle, et on l’engageait avec force – mais alors, de nouveau, les images sont de trop.
Rozanes n’a pas vraiment choisi et a gardé les images. On assiste alors à un long propos un peu effiloché qui ne cesse de dire qu’il y a du Woodman quelque part dans tout ça, sans que la relation s’incarne vraiment. En somme, la focale est mal réglée : on est tantôt trop loin (dans le métadiscours), tantôt trop près de Woodman (dans la remise en scène de ces photos). Et Nathalie Rozanes, qui joue avec la mise à distance et la mise en abîme, les références à son expérience de comédienne, à son travail en train de se faire ou au contexte de la représentation, reste inlassablement la même : comédienne à tous les instants, ses minauderies, malgré son charme, finissent par agacer. Le spectacle est un peu à son image : un peu trop pauseur, un peu trop empreint de spontanéité jouée, malgré des moments touchants et délicats. C’est dommage, car l’attachement de Nathalie Rozanes pour Woodman est sincère, et c’est un peu ce qui manque au spectacle : de l’attachement, qui nous relie à Francesca.