Scénario : Franck Bourgeron, Hervé Bourhis
Dessin : Dorothée de Monfreid
Éditeur : Casterman
Sortie : 20 mars 2024
Genre : Roman graphique
La culture française est une maîtresse exigeante. Avec les politiques qui ont tenté de la conquérir, les relations ont rarement excédé deux ans. Deux hommes, particulièrement, se sont montrés plus pugnaces. André Malraux, le premier à avoir occupé le poste ministérielle et ce, pendant plus de dix ans. Et Jack Lang, pour avoir presque doublé son budget fédéral. Formidable. Le titre ne laisse pas place aux doutes. Il ne fait pas dans la demi-mesure. Il est à l’image du personnage théâtral et amoureux de la scène qu’est Jack Lang : expansif, convaincant et ambitieux. Ou du moins ce sont les traits de caractère que lui prêtent les auteurs Dorothée De Monfreid, Hervé Bourhis et Franck Bourgeron.
Ces traits de caractère, ce sont ceux qui ont permis à la fête de la musique d’éclore. Formidable, n’est ce pas ? Mais Jacques Lang c’est aussi le prix unique du livre qui, aujourd’hui, permet une maigre offensive des petits libraires contre l’invasion du marché littéraire par les géants du numérique. Sans oublier ; la journée du patrimoine, la contribution de la télévision au financement du cinéma français, l’Opéra Bastille, le Grand Louvre, le bicentenaire de la révolution et Arte.
Une autre France
Tout ça c’est bien beau, mais Jack Lang n’est plus tout jeune. Son mandat date de Mitterrand. Ceux qui ont connu les premières fêtes de la musique sont aujourd’hui en âge de lui reprocher ses nuisances sonores. Lang est le fruit d’une époque qui s’est évaporée. Une époque qui, nous semble-t-il aujourd’hui, allait un peu loin dans sa lutte contre la pudibonderie. Comme tant d’autres intellectuels, Lang a soutenu le plaidoyer pédophile de Matzneff. Tout ça, c’était une autre France. À ce propos, il y a un côté franchouillard, un brin chauvin, dans la manière dont les auteurs s’exaltent sur l’exportation des mesures politiques de Lang à l’international, comme c’est le cas pour la fête de la musique. Quoiqu’il en soit, plus le temps passe et plus Lang se fait oublier. Les auteurs raccrochent les wagons, mais le nombre serré de pages ne leur permet pas de s’épancher. Alors, tant pis s’ils perdent en route, ceux pour qui les informations arrivent trop vite. Ceux qui sont trop jeunes pour bien connaître l’irrévérencieux Jack Lang.
Formidable a moins pour but de raconter qui il est que de livrer les secrets qui entourent son mandat. D’ailleurs, cette intrusion dans les coulisses de la politique se fait avec la complicité de l’intéressé lui-même, l’album prenant la forme d’une interview. Et avec le format de l’interview se pose évidemment la question de l’impartialité. Heureusement, les auteurs s’en servent. Ils remettent en question les mérites que s’attribue l’interviewé. Mais ce n’est pas tout. Ils assument leur lâcheté quand il s’agit d’aborder les sujets qui fâchent. Ils donnent la parole à la femme sans qui rien n’aurait été possible : Monique. Ils questionnent la figure de révolutionnaire idéaliste que Lang donne de lui-même. C’est un programme très chargé. On imagine sans peine que le travail de découpe a dû être, sans mauvais jeu de mots, formidable. Mais confiné dans un trop petit espace, le propos déborde. L’étroitesse du format a raison parfois du confort de lecture.