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    Histoires de famille à la Fondation Boghossian avec Family Matters

    L’exposition « Family Matters » rassemble les œuvres d’une vingtaine d’artistes contemporains de tous horizons et générations à la Fondation Boghossian. Installations, sculptures, peintures, dessins mais surtout vidéos évoquent souvenirs d’enfance, transmission intergénérationnelle mais aussi violences ou crispations familiales.

    L’exposition « Family Matters » s’ouvre en plein pendant les vacances scolaires, un rituel parfaitement en lien avec la famille. La commissaire de l’exposition et directrice de la Fondation Boghossian, Louma Salamé, a réuni une vingtaine d’artistes autour d’une thématique universelle qui touche les adultes, les enfants, les parents, les grands parents, les partenaires tout en explorant la question de la transmission.

    La famille est bien présente dans toutes les œuvres proposées. Mais, si les techniques, les intentions, les émotions et les sensibilités explorées différent d’un artiste à l’autre, Louma Salamé voit dans l’ensemble « la prédominance d’un discours très intime et souvent autobiographique ». La commissaire a fait le choix, rare, de donner une place considérable à la vidéo. Parce que le sujet appelle une temporalité spécifique, les artistes privilégient la vidéo « parce que c’est un médium qui a le temps, explique-t-elle. La vidéo réquisitionne, cannibalise, le visiteur avec le temps ». Ce spectre est déployé sous différentes formes : essai vidéo, documentaire, fiction, expérience immersive performance filmée ou des réalisations à l’intersection entre ces genres. Dès son entrée dans le hall de la Villa Empain, le visiteur est accueilli par « Chaises à bascule » de Élodie Antoine, artiste belge qui invente des objets hybrides à partir d’éléments issus d’univers différents. Ici, deux rocking chairs reliés entre eux se font face pour donner une forme matérielle à une conversation entre deux membres de la famille.

    Fondation Boghossian – Sophie Whettnall, Transmission line

    Quatre axes

    Louma Salamé utilise une terminologie particulière pour rassembler les artistes en quatre groupes. Dans celui des « Gardiens de mémoire », les artistes deviennent archéologues, archivistes, généalogistes, pour représenter ceux qui furent et ceux qui restent.

    Ainsi, « Mother Tongue » de Zineb Sedira, artiste d’origine algérienne née en France, fait figure d’œuvre fondatrice de l’exposition. Trois écrans montrent, tour à tour, les dialogues de l’artiste avec sa mère, de l’artiste avec sa fille et de sa mère avec sa fille. Dans ces transmissions de la mémoire familiale, chacune s’exprime dans la langue qu’elle connaît. Les deux premiers dialogues sont, respectivement, en arabe et en français. Le troisième frappe par le silence, la fille et la grand-mère ne parlant aucune langue commune. Dans « Transmission line » Sophie Whettnall met en scène, sur trois écrans, elle-même, sa fille et sa mère. Inspiré de « L’Enfer », film inachevé de Georges-Henri Clouzot (avec Romy Schneider), la vidéo aborde la transmission intergénérationnelle dans une histoire de famille compliquée où, avec le temps, on a tendance à se raconter des choses, à réécrire l’histoire et les responsabilités. 

    Fondation Boghossian – Family Matters – Zineb Sedira, Mother Tongue

    Les « Éclaireurs » travaillent à rebours explorant les non-dits, la mémoire cachée, invisible, murée, comme « Étouffé dans la boue » de Paul Gérard. Cette installation immersive raconte l’histoire de sa famille et les secrets qui y sont dissimulés. L’artiste qui a fait son coming out à quatorze ans, a découvert que son grand père a quitté son épouse pour un homme, et a été assassiné le lendemain de la rupture. Dans « La Mazda jaune et Sa Sainteté », Sandra Heremans raconte l’histoire de son père missionnaire qui tombe amoureux d’une Rwandaise et l’épouse. Exclu, de ce fait, de la prêtrise, il écrit au pape pour demander une dispense de célibat ecclésiastique afin d’être réintégrer dans la religion catholique.

    Des moments en famille

    « Les performeurs » chorégraphient, revisitent, actualisent, réinventent les rites que sont les réunions de famille. Dans « Chez nous », Ariane Loze, présente de bout en bout de la création (réalisatrice, monteuse, comédienne – elle vient du monde du théâtre –, caméra woman), incarne cinq sœurs et leurs enfants réunies pour un dîner de Noël dans la maison familiale tandis que leur mère est alitée en fin de vie à l’étage. Dans « All together now.. ; », Hans Op de Beeck montre trois repas, mariage, anniversaire, funérailles, trois rituels distincts qui traversent des contextes socio-culturels différents. Amélie Berrodier rassemble dans « Le Repas » (28 minutes) plusieurs personnes autour d’une table, la nourriture devenant prétexte à partage ou excuse pour se réunir. Sauf que le protocole de la vidéo impose aux acteurs un silence que seuls les bruits des couverts et des chaises viennent troubler.


    Fondation-Boghossian – Family Matters – Ariane Loze, Chez Nous

    Enfin, « Les narrations critiques » traitent, de façon disruptive ou burlesque, des conventions sociales et collectives comme Anne-Marie Schneider, artiste française qui mixe collages, dessins et extraits de film dans « Mariage ». Abordant le sujet du désir ou du besoin de se conformer à la pression sociale, la vidéo s’ouvre par les propos d’une femme qui clame, presque jusqu’à l’hystérie, « je veux me marier, avoir des enfants, plein, plein d’enfants ». Kika Nicolela, artiste brésilienne d’origine libanaise, installée à Bruxelles, parodie la chanson « Cake d’amour » interprétée par Catherine Deneuve dans « Peau d’âne » de Jacques Demy. Issue de « Doll House », ensemble de portraits de femmes qui cherchent à s’émanciper du carcan qui leur est imposé, la vidéo montre la ménagère parfaite préparant un gâteau pour rendre le prince amoureux avant de prendre la tangente et se vautrer dans l’insubordination.

    Fondation Boghossian – Family Matters – Amelie Berrodier, Le repas

    En conclusion

    Ce ne sont là que quelques exemples d’œuvres d’une exposition qui présente également  des installations et des dessins, dont de superbes croquis de Henry Moore pour « Mother and Child ». Les murs de la villa accueilleront, en outre, des œuvres éphémères de Agathe Bokanowski, des paysages de famille réalisés à partir de souvenirs d’une famille en devenir, des prises de vue lointaines réalisées « à un moment où nous n’étions pas encore une famille ».

    D’un très haut niveau, l’exposition « Family Matters » (littéralement, affaires de famille ou problèmes familiaux), est riche d’œuvres qui ont le don de mettre des images ou des mots sur des ressentis propres à cette cellule essentielle de la vie sociale. Elle ravira les aficionados du médium vidéo et initiera avec enthousiasme ceux qui y sont encore rétifs.

    Infos pratiques

    • Ou? : Fondation Boghossian, Villa Empain, Avenue Franklin Roosevelt, 67 à 1050 Bruxelles
    • Quand? : du 2 mars au 28 mai 2023, du mardi au dimanche de 11h à 18h.
    • Combien? : 12 € différents tarifs réduits possibles, gratuit le premier mercredi du mois.

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