Conception et interprétation de Emmanuel De Candido. Du 6 février au 24 février 2024 au Théâtre de Poche.
Sur la scène du Poche, comme souvent, on nous propose de parler vrai, sans faux semblants, avec sincérité et à cœur ouvert. Fils de bâtard est une déclaration et un cri poussé dans la conviction qu’ils retentiront jusque dans l’au-delà. Une ode à l’amour, une exploration de ses origines et le partage d’une « histoire de dingue » !
Si tu pouvais recommencer une chose dans ta vie, est ce que tu sais ce que ce serait ? Si tu pouvais revenir en arrière, changer le cours du temps. Imagine si tu avais ce pouvoir, est ce que tu sais le moment précis de ta vie que tu voudrais changer ?
C’est par ces mots qu’Emmanuel de Candido, auteur et interprète de la pièce, nous apostrophe. Instinctivement notre cerveau travaille et trouve un élément qu’il identifie comme étant LE moment où l’on aurait voulu tout changer. C’était sans compter sur notre narrateur, qui au fil de son récit, va nous emmener sur des sentiers oubliés.
Du slam, une touche de fado, un bison et un zinneke sans père
Emmanuel, Manu pour les intimes, est né administrativement de père inconnu. Il est ce que l’on appelle un bâtard, un zinneke, au Congo on dit une balle perdue et un royal bourbon à la Réunion. Celui qu’il désigne comme était le fils du bâtard, c’est son fils, à qui il dédie le spectacle. C’est au départ d’une phrase anodine posée par l’enfant dans une cour d’école que tout commence. Occupé à jouer à l’équilibre sur une ligne tracée au sol, s’imaginant mille périls, ce dernier lui demande très naïvement alors qu’il venait de se proclamer mort dans son jeu : « Dis papa, je suis mort. Est-ce je peux recommencer ? »
C’est alors qu’un fil se tisse, celui de la mort et de son corollaire, la naissance. Né de père inconnu pour l’Administration, Emmanuel n’ignore pas qui est son géniteur. Lorsqu’il était encore vivant, le petit Manu le rencontrait de temps en temps, c’était un homme marié, père de sept enfants. Son nom de code était le « Colonel Bison » en hommage à la toison velue qu’il arborait fièrement sur le torse. Mort depuis 15 ans, ce dernier avait légué à son fils illégitime trois cartes géographiques : une du Congo, une de l’Antarctique et une de la Lybie. Ce père atypique avait vécu mille vies : ancien militaire, colon, chef d’expédition d’une mission au pôle Sud, marchand d’armes et enfin vers la fin de sa vie psychothérapeute bio énergéticien. Ca ne s’invente pas. Pendant sept ans, le fils enquêtera et voyagera sur les traces de ce fantôme de père. Laissant en Belgique, sa mère Elena Beatrice De Candido qui l’a élevé comme une mère italienne sait le faire : avec une dévotion presque religieuse. Il était le troisième amour de sa vie et le plus beau assurément. Nom prophétique s’il fallait l’énoncer, Beatrice est aussi le prénom d’un personnage dans l’enfer de Dante, la seule capable de voyager des flammes au paradis. Il n’en fallait pas plus pour qu’Emmanuel soit tenter de ressusciter sur scène sa mère adorée et de conjurer la fatalité.
Ce voyage intérieur ne se fera pas dans le silence, différents spectres musicaux seront également invoqués : la poésie d’un slam déchirant plein de colère et de questionnements, la guitare et la voix envoutante d’Orphise Labarbe et un chant italien plein de nostalgie. La mise en scène co-signé avec Olivier Lenel nous apporte des ruptures et des cassures de rythme entrecoupés de dialogues avec le public. C’est interpellant, captivant et hypnotisant.
Une écriture qui doit se vivre
On vous a gardé le meilleur pour la fin. De cette histoire, de la temporalité, des éléments de rebondissements narratifs, on ne vous en dira rien. Fils de bâtard est un texte qui doit s’entendre et se vivre. Il ne doit pas se lire, ni se raconter. Son histoire, Emmanuel De Candido l’a écrit avec beaucoup de pudeur, d’intelligence et de passion. Parfois, elle ressemblait à une embrassade désespérée et salutaire. Parfois, elle nous faisait rire et réfléchir. C’est toute la force de cette écriture, tantôt dedans, tantôt dehors.
Que cela a dû être difficile et ardu d’arriver à un tel stade d’introspection, d’indulgence et de générosité avec soi et de pouvoir l’écrire sous les mêmes auspices. Un juste équilibre, à l’image de cette figure du funambule qui traversera symboliquement toute la pièce : ni trop dans le pathos, ni pas assez. Arriver à écrire un témoignage avec cette justesse, l’interpréter, se livrer et garder suffisamment de poésie dans le cœur pour avoir envie de la partager dans la joie et la bienveillance, c’était honnêtement très impressionnant.
Un grand merci pour ce bout de voyage dans votre vie Mr De Candido, vous avez réussi à parler de nous en parlant de vous et c’est très rare.